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Recherches sur la fatigue mentale - Partie 1

Revue scientifique

En 1889, par Galton F.

La question du surmenage du cerveau dans les écoles a été discutée, il y a quelques mois, avec une grande vivacité, et les arguments produits de part et d'autre étaient appuyés par des expériences si nettement en contradiction les unes avec les autres, qu'il devenait difficile d'arriver à des conclusions exactes. Lorsque la chaleur de la discussion se fut un peu apaisée, il arriva que je fus appelé à présider la réunion de la section d'éducation de la « Société des professeurs », et en m'acquittant de cette mission, je fus très impressionné par l'attention vive et soutenue qu'apportait le nombreux auditoire à la lecture du mémoire qui fut communiqué pendant cette soirée. Il me vint à l'esprit que l'association des professeurs pouvait devenir un instrument puissant pour amener la solution de problèmes de statistique, dans le cas où l'intérêt de ses membres intelligents pourrait être excité en faveur d'enquêtes concernant l'éducation, et si l'on pouvait réussir à compter sur leur bonne volonté et gagner leur confiance. Je me décidai à faire un essai, et je fis choix; à cet effet, d'un certain nombre de questions concernant la fatigue. Le conseil de l'Association m'aida d'une façon fort aimable en faisant circuler mes questions, accompagnées d'une lettre de recommandation de son vice-président, M. Morse. Les réponses à ces questions forment la base des remarques qui vont suivre. Il faut que je le dise de suite, je fus d'abord un peu désappointé en ce qui concerne le nombre et l'étendue des réponses, et cela à un tel point que j'ai longtemps hésité à publier quoi que ce soit avant d'y avoir suppléé par d'autres matériaux que j'aurais acquis graduellement par mes propres observations; mais, ayant beaucoup d'autres choses à faire, il me sembla qu'il valait mieux utiliser de suite ces matériaux sans y rien ajouter. J'ai cent seize réponses de professeurs, dont beaucoup sont fort expérimentés, réponses qui les concernent autant que leurs élèves; et comme cela suffit pour mériter une discussion à part, je ne m'occuperai pas d'autres matériaux, et je ne franchirai pas les limites de ce qu'on pourrait appeler mon dossier; je m'occuperais simplement de la psycho-physique de la fatigue, et je ferai uniquement entrer en ligne, d'une façon ordonnée, les constatations que contenaient les cent seize réponses.

L'objet, de mes questions était d'abord de déterminer les signes et les effets de la fatigue naissante, sous une forme aussi mesurable que possible; car il est évidemment très désirable de connaître ce que seraient les preuves de la fatigue par suite des opinions contradictoires auxquelles j'ai fait allusion plus haut. Il ne devrait y avoir aucun doute au sujet de la question de savoir si les élèves de telle ou telle école en classe particulière, à un certain moment, étaient ou n'étaient pas fatigués à l'excès (surmenés). En second lieu, je désirais apprendre de la part des professeurs s'ils avaient jamais succombé à la fatigue eux-mêmes par suite d'un travail excessif, et quelles pouvaient être leurs propres expériences concernant leurs élèves et leurs amis. Les présentes questions s'adressent: n° 1, 2 et 3, à la personne même à laquelle elles sont posées; les n° 4, 5, 6, concernent leurs élèves et les personnes de leur connaissance.
1. Quel travail mental pouvez-vous accomplir facilement lorsque votre esprit est reposé, alors que vous le trouvez difficile ou impossible lorsque votre esprit est un peu fatigué?
2. La maladie due simplement à un travail mental excessif, indépendante d'angoisses domestiques ou d'ennuis, vous a-t-elle jamais rendu pendant plus d'un mois incapable de vous occuper de votre travail ordinaire à l'école? Si tel est le cas, donnez les dates et les symptômes. Considérez-vous l'état actuel de votre santé comme affecté en quoi que ce soit par suite de cette maladie.
3. L'expérience vous a-t-elle fait découvrir des avertissements corporels ou mentaux — distincts ou obscurs — de l'approche imminente de la fatigue mentale, autres que le sentiment de l'approche de la fatigue? S'il en est ainsi, donnez-en la description.
4. Quel travail intellectuel particulier trouvez-vous que vos élèves accomplissent aisément lorsque leur esprit est reposé, alors qu'ils le font plus ou moins mal lorsqu'ils ont l'esprit fatigué, et même lorsque leur travail continue à les intéresser.
5. Avez-vous eu connaissance de cas plus ou moins sérieux de prostration causée par le surmenage intellectuel en dehors des effets d'anxiétés domestiques ou autres? Si oui, donnez des initiales et des dates avec une très courte note au sujet de la gravité et de la durée de la maladie.
6. L'expérience vous a-t-elle fait découvrir des signes qui vous avertissent de l'imminence de la fatigue mentale chez des élèves par trop zélés?

Le résumé des réponses à ces questions est le suivant.

Aspect général. — Les professeurs expérimentés accordent le plus d'importance à l'aspect général de leur classe qui est dû à différents petits indices, tel qu'une apparence de lassitude et une couleur anormale de la peau. Ils parlent plus particulièrement d'un regard étrange; l’œil est décrit d'une façon variée comme ébloui, fatigué, fixe ou manquant d'éclat, et pour eux ce regard est considéré comme une indication particulièrement caractéristique de la nécessité de diminuer immédiatement le travail.

Irrégularités nerveuses. — L'agitation semble être le signe le plus ordinaire de la fatigue partielle, c'est-à-dire de la fatigue de l'attention, alors que les muscles demandent à être employés. Je puis faire ici une infraction pendant un moment à mon système de ne point sortir des faits de mon dossier, en rappelant un court compte rendu que je fis dans Nature il y a trois ans (t. XVIII, p. 174), mais signé seulement de mes initiales, sous le titre: Mesure de l'agitation, et dans lequel je décrivais comment j'avais réussi à compter les différents degrés de l'agitation d'une partie d'un grand auditoire, pendant la lecture d'un ennuyeux mémoire. J'ai, depuis lors, souvent essayé de cette méthode; c'est une manière amusante de passer une soirée qui autrement aurait été ennuyeuse; mais, en tirant des conclusions du nombre de mouvements, il faut tenir compte de l'âge moyen des personnes de l'assistance et de leurs habitudes au point de vue de la pensée. Les enfants sont extraordinairement mobiles, et ceux, parmi les adultes, qui ont peu l'habitude de concentrer leur attention, sont rarement tranquilles, à moins qu'ils ne soient sous le charme de l'éloquence. D'autre part, j'ai remarqué aux réunions de la Société Royale que toutes les personnes présentes que je pouvais embrasser d'un coup d’œil était toutes rigides comme des statues, pendant plusieurs secondes. Le fait de bâiller et de s'étendre est fréquent parmi des enfants fatigués, ainsi que des mouvements nerveux et des grimaces qui, dans les cas sérieux, dégénèrent en danse de Saint-Guy. Voici quelques extraits des différentes réponses: 1. des mouvements musculaires soudains; 2. des grimaces, de froncements des sourcils, ou la compression des lèvres sont des signes remarqués; 3. les doigts s'agitent parfois et tout le système nerveux semble affecté; 4. tiraillements dans la figure; 5. tiraillements et clignements des yeux; 6. clignement des paupières; 7. tendance au rire nerveux ou à des mouvements. Un des correspondants a des accès d’éternuement de grand matin, lorsqu'il s'est fatigué à travailler pendant la nuit.
Une absence générale d'équilibre dans la coordination musculaire est indiquée par une écriture tremblée et peu ferme: ceci est quelquefois mentionné d'une façon spéciale, mais plus souvent impliqué par des phrases telles que: 8. écriture peu soignée; ou 9. insuccès dans tout travail exigeant de la précision matérielle; 10. quelque fois perte de la faculté de pouvoir continuer à écrire, la plume allant à tort et à travers. La fatigue est également très fréquemment indiquée par des troubles de l'élocution tels que: — 11. la tendance à bégayer en parlant; 12. refus de la langue d'obéir à la volonté, de sorte qu'en parlant ou en lisant, on substitue un mot à un autre.
L'irrégularité de l'action nerveuse est en outre démontrée par la pâleur ou la rougeur du visage. Ces états alternent quelquefois; ils témoignent d'une dépression nerveuse combinée avec une excitabilité maladive. Des allusions à la couleur anormale de la peau sont fréquentes dans les réponses. L'une des maîtresses va jusqu'à donner une importance particulière à la couleur du bout de l'oreille; c'est par là qu'elle voit de quelle façon les jeunes filles de sa classe sont souffrantes. Si le bout des oreilles est blanc, flasque et tombant, elle en conclut que les jeunes filles ont l'esprit extrêmement fatigué. S'il est relâché, mais rouge, elle en conclut qu'elles « sont fatiguées non par suite de l'étude, mais par la lutte avec leurs nerfs, que la plupart des jeunes écolières de 14 à 15 ans ont rarement entièrement sous leur contrôle ».

Maux de tête. — La fréquence des maux de tête sous des formes variées et à tout degré d'intensité va de soi. Il en est de même pour le froid aux pieds, les malaises et les véritables évanouissements. Le manque de sommeil, très accentué, est un autre signe fort connu et bien plus rare. Le grincement des dents et le fait de parler pendant le sommeil sont fréquemment mentionnés; à l'occasion également le somnambulisme. Je ne me propose point d'entrer dans des détails à l'égard d'aucun des points que je viens de signaler, comme ce sont là tous des signes bien connus de l'excès de fatigue. Cela pourrait cependant intéresser l'assistance de voir un dessin que je tiens dans ma main et qui a été fait en donnant, il y a peu de semaines, par un de mes jeunes parents et amis qui était en train de se préparer avec trop de zèle à un examen d'école du gouvernement. Il se réveilla pendant la nuit et se trouva vêtu de sa robe de chambre, assis à sa table, le gaz allumé, et avec une esquisse grotesque d'une tête d'éléphant et quelques autres animaux, qui venait d'être terminée. L'encre était encore humide. Il n'avait pas le moindre souvenir de quoi que ce soit avant le moment du réveil, mais une conversation qu'il avait eue avant de gagner son lit lui avait probablement suggéré l'esquisse.


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