Le mouvement de l'humanité

Annales de l'Institut international de sociologie

En 1899, par Puglia F.

Si les phénomènes de la vie sociale sont des effets immédiats de causes psychiques qui agissent sous l'influence de causes extérieures (biologiques, physiques, etc., etc.) on doit, pour les bien connaître, les étudier non seulement objectivement mais encore subjectivement. Et c'est à ce double point de vue qu'on doit étudier non seulement les phénomènes sociaux présents mais aussi ceux passés, malgré les difficultés que présente parfois l'étude psychologique de ces derniers: nous ne pouvons en effet toujours des idées actuelles induire exactement les idées et les sentiments des générations passées. Cependant l'expérience historique nous montre qu'il y a des tendances et des sentiments communs à la majorité des hommes et constants justement parce qu'ils ont une nature commune, que n'altère pas radicalement l'influence des facteurs externes.

Si les formes des manifestations de ces sentiments et de ces tendances changent, on peut rechercher les causes de ces changements, parce qu'il y a une loi de continuité de modification graduelle des phénomènes psychiques ; et l'on pourrait dire que la psychologie sociale présente une stratification de ces phénomènes. Aussi bien d'après la loi de l'imitation, dont la réalité ne peut être mise en doute, un changement profond dans les transformations psychiques n'est pas possible, et par conséquent l'étude des phénomènes sociaux au point de vue psychologique ne peut pas aussi facilement conduire à des erreurs.

Et puisque le mouvement général de l'humanité est le résultat des combinaisons et des compositions des divers phénomènes de la vie commune, il s'ensuit de là que l'étude psychologique est encore nécessaire pour voir si ce mouvement est progressif ou régressif et pour distinguer clairement les périodes dites de dégénération, de décadence ou d'intermittence de celles de régénération et de progrès. Il est nécessaire de faire une étude sérieuse des fins humaines non seulement pour déterminer exactement leurs divers caractères, mais aussi pour distinguer ceux qui sont communs à tous les hommes et ceux qui sont particuliers à quelques peuples. On peut des natures diverses des fins tirer un élément utile pour juger les diverses manifestations du mouvement de l'humanité.

Mais l'étude subjective ou psychologique des phénomènes sociaux ne peut suffire à donner à elle seule les résultats qui sont nécessaires pour mettre réellement en relief les diverses formes de ce mouvement: et il faut à cet effet avoir recours à l'étude objective. Or, en ces derniers temps, on a soutenu que les caractères physiques et physiologiques des peuples ont une grande importance pour cette étude. En effet Sergi a écrit que les peuples sont les auteurs des phénomènes sociaux et qu'il est par conséquent impossible de trouver une explication à ces phénomènes si on ne connait pas exactement la nature de ces peuples. Et il croit que l'étude des caractères physiques et physiologiques des peuples a été négligée par la plupart de ceux qui étudient les phénomènes sociaux.

Il n'y a pas de doute : pour connaître exactement les phénomènes sociaux il faut connaître la nature des peuples ; mais d'autre part il ne faut pas oublier que pour bien connaître la nature des peuples il faut remonter aux origines de l'humanité, c'est-à-dire aborder la solution du problème des origines des peuples, problème assez ardu et qui a été diversement résolu.
Si la solution du problème fondamental de la sociologie concernant l'évolution humaine devient plus difficile, que l'on veuille bien donner la plus grande importance pour le résoudre aux faits anthropologiques ou pour mieux dire ethnographiques. Assurément les difficultés les plus grandes qui sont dues à l'introduction des données anthropologiques ou ethnographiques dans la sociologie pour l'étude du mouvement de l'humanité ne doivent pas arrêter le savant dans la voie des recherches, mais si ces difficultés peuvent être en partie évitées pourquoi ne pas le faire?

En renonçant pour le moment dans le domaine sociologique à la solution du problème des origines des peuples, on peut étudier de deux façons par la méthode objective le mouvement de l'humanité: 1° directement en recueillant le plus grand nombre possible de données anthropologiques ; 2° indirectement en analysant les divers phénomènes de la vie sociale et en comparant les manifestations de la vie sociale des peuples historiques ou antiques à celles des peuples modernes peu avancés au point de vue de la civilisation. La seconde manière nous semble plus appropriée au but poursuivi parce qu'elle est plus pratique et plus positive tandis que la première donnerait des résultats qui par eux-mêmes ne pourraient conduire à une solution rigoureusement scientifique du problème de l'évolution générale de l'humanité.

Or, en jetant un regard sur l'histoire de l'humanité nous découvririons un mouvement incessant, fort complexe, déterminé par des causes variées (causes physiques, organiques etc. etc.) consistant en des combinaisons et des compositions multiples de mouvements d'individus et de groupes d'individus. Ce mouvement se produit en des directions diverses. Par conséquent, en étudiant les premières causes, on pourrait découvrir les lois particulières des mouvements des groupes sociaux et déterminer ensuite celles du mouvement complexe de l'humanité qui fait l'objet de la partie de la sociologie dite: dynamique sociale.

Pour étudier ensuite les diverses directions du mouvement social il faut faire une analyse de leurs caractères différentiels. Cette analyse est impossible sans une distinction claire des divers ordres de phénomènes sociaux: d'où la nécessité d'une classification de ces phénomènes.
Il faut noter ensuite l'importance des directions diverses du mouvement social, la prédominance de quelques-unes d'entre elles en certains lieux, à certaines époques et rechercher les causes de cette prédominance.

Il nous semble donc que l'une des principales fins que doive se proposer le sociologue, si l'on ne veut faire de la sociologie un système de généralités vides, est celle indiquée ici, à savoir une classification exacte des phénomènes sociaux, un examen diligent des causes de leurs différenciations et de l'importance diverse des différentes directions du mouvement social.
C'est suivant la méthode ici indiquée qu'on arriverait à résoudre les problèmes sociologiques les plus graves relatifs à l'évolution humaine et spécialement celui qui a trait à la prédominance des phénomènes économiques sur les autres phénomènes sociaux, qui est connu sous le nom impropre de matérialisme historique.


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