L'adaptation des individus au milieu social

Annales de l'Institut international de sociologie

En 1895, par Abrikossof N.

On voit souvent, en biologie, une espèce dégénérée s'accommoder parfaitement d'un milieu où ne pourrait pas vivre une espèce possédant une organisation supérieure. La dégénérescence produit parfois un état harmonique entre l'être et le milieu, c'est-à-dire une accommodation ; elle est la résultante de la lutte pour l'existence.
En ses traits généraux cette lutte produit l'amélioration des types ; cependant, dans certains cas particuliers, elle produit aussi le résultat contraire. Nous voyons souvent des types rétrograder, dégénérer afin de pouvoir continuer à vivre. Ce fait a été observé maintes et maintes fois. Il n'est plus contesté par personne.
Quand les circonstances ambiantes ne sont pas favorables à la production des types supérieurs, les types inférieurs apparaissent seuls. Ainsi dans les grandes profondeurs maritimes et dans les cavernes obscures vivent des êtres d'une structure plus rudimentaire.
Les êtres qui sont chassés des milieux les plus favorables, ceux qui sont privés d'air et de soleil, doivent dégénérer ou périr. La dégénérescence est un salut pour eux, car elle seule leur permet de s'accommoder des circonstances moins avantageuses.
Partout on peut observer combien la nature est prodigue. La reproduction des êtres vivants s'opère avec une profusion extrême. Alors arrive une âpre sélection, une élimination sans pitié. Mais il arrive que des organismes, par cela seul qu'ils sont dégradés, s'accommodent d'un milieu où des organisations supérieures auraient péri infailliblement.


Ne peut-on pas observer les mêmes phénomènes dans le milieu social?

Les conditions d'existence des individus au sein des groupes sociaux sont aussi variées qu'au sein de la nature. Ne trouve-t-on pas aussi, dans le milieu social, des conditions où peuvent vivre seulement les pires représentants de notre espèce? Un individu possédant les exigences les plus élémentaires périrait dans les bas-fonds de nos grandes capitales, grâce aux logements malsains, aux vêtements déguenillés, à la nourriture insuffisante. Eh bien! des créatures dégradées vivent dans un milieu pareil. Et non seulement elles y vivent, mais encore elles s'y reproduisent. La puissance de reproduction est énorme, les forces vitales si puissantes! Des êtres dégénèrent, ils s'abaissent aux derniers échelons de l'humanité et pourtant ils continuent fautant mieux à vivre dans des sous-sols humides ou des froides mansardes. L'être se dégrade au physique et au moral, mais il continue à traîner sa pauvre existence.


Où la limite minimum du bien-être après laquelle la mort est inévitable?

Grâce aux efforts de la charité et grâce aux sentiments de l'amour du prochain, on peut plus ou moins élever cette limite. Mais dans tous les cas il y aura des individus dégradés qui s'accommoderont d'un milieu qui lui est inférieur. L'organisme humain semble capable de s'adapter aux conditions les plus mauvaises pour conserver seulement la vie. Dès que les conditions générales du milieu s'améliorent, il semble que les places les moins favorables deviennent libres. Elles ne manquent pas d'être occupées aussitôt par des individus moins exigeants qui s'en contentent. Les conditions du milieu social offrent des variétés aussi infinies que les conditions du milieu physique. Grâce à cette variété, tous les organismes trouvent des conditions d'existence, les plus élevés comme les plus dégradés.
Nous entendons répéter souvent dans ces derniers temps que le mot solidarité semble devoir l'emporter en importance sur les mots liberté, égalité, fraternité. Que veut-on dire par là? Peut-on espérer que ce nouvel idéal de la solidarité améliorera les conditions sociales dans une si forte mesure que les types dégénérés ne pourront plus trouver de condition d'existence parmi nous?


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