Partie : 1 - 2 - 3 - 4

Les recherches expérimentales sur les rêves: les méthodes - Partie 2

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1902, par Vaschide N.

On ne saurait plaider pour l'utilité de la méthode, quand on veut étudier les rêves des aliénés, des malades et des enfants. Comment entrer en rapport avec le sujet en observation? Quoi retenir de ses propos? D'après quel critérium jugerait-on ses affirmations? etc. ; Sante de Sanctis, l'auteur auquel on doit des recherches remarquables surtout sur la pathologie du rêve, s'est posé ces questions lors de ses recherches et je me les suis posé ayant comme cet auteur fait des recherches sur le rêve des aliénés. Je décrirai plus loin ma méthode et de quelle manière j'ai cru pouvoir me mettre à l'abri des causes d'erreur.

On peut diviser les méthodes employées par les différents auteurs dans quatre catégories différentes, I. La méthode subjective ou introspective directe. — II. La méthode objective. III. La méthode éclectique. — IV. Le questionnaire et l'interrogatoire.

I. La méthode subjective est l'ancienne méthode des philosophes et qu'Alfred Maury a pour la première fois utilisé scientifiquement pour l'étude des rêves. Bon nombre d'auteurs s'en sont servis depuis et même avant lui et constitue le moyen d'investigation le plus répandu. A. Maury décrit longuement cette méthode, la sienne, dans le chapitre premier de son classique volume sur le sommeil et les rêves. Il a voulu faire de la psychologie expérimentale et insiste sur les détails de l'expérience pour qu'on puisse répéter ses expériences et qu'on vérifie la légitimité de ses inductions. Voici ses propres paroles :

« Je m'observe tantôt dans mon lit, tantôt dans mon fauteuil, au moment où le sommeil me gagne; je note exactement dans quelles dispositions je me trouvais avant de m'endormir, et je prie la personne qui est près de moi de m'éveiller, à des instants plus ou moins éloignés du moment où je me suis assoupi. Réveille en sursaut, la mémoire du rêve auquel on m'a soudainement arraché est encore présente à mon esprit, dans la fraîcheur même de l'impression. Il m'est alors facile de rapprocher les détails de ce rêve des circonstances où je m'étais placé pour m'endormir. Je consigne sur un cahier ces observations, comme le fait un médecin dans son journal pour le cas qu'il observe. Et en relisant le répertoire que je me suis ainsi dressé, j'ai saisi, entre des rêves qui s'étaient produits à diverses époques de ma vie, des coïncidences, des analogies dont la similitude des circonstances qui les avaient pour ainsi dire provoquées m'ont bien souvent donné la clef. »

Et plus loin : « L'observation à deux est presque toujours indispensable ; car avant que l'esprit ait repris conscience de soi-même, il se passe des faits psychologiques dont la mémoire peut sans doute persister après le réveil, mais qui sont liés à des manifestations qu'autrui seul peut constater. Ainsi, les mots qu'on prononce, assoupi ou dans un rêve agité, doivent être entendus par quelqu'un qui vous les puisse rapporter. Il n'est pas jusqu'aux gestes, aux attitudes qui n'aient aussi leur importance. Enfin ce qui rend nécessaire le concours d'une seconde personne, c'est l'impossibilité où vous seriez de vous éveiller à un moment donné, par un procédé mécanique, comme vous le faites avec l'aide d'une main complaisante. Il va sans dire que, pour être en position de recueillir des observations utiles, il faut être prédisposé à la rêvasserie, aux rêves, sujet à ces hallucinations hypnagogiques que je décrirai plus loin ; tel est précisément mon cas. Peu de personnes rêvent aussi vite, aussi fréquemment que moi ; fort rarement le souvenir de ce que j'ai rêvé m'échappe, et la mémoire de mes rêves subsiste souvent pendant plusieurs mois aussi fraîche je dirai volontiers aussi saisissante, qu'au moment de mon réveil. De plus, je m'endors aisément le soir et durant ces courts instants de sommeil, je commence des rêves dont je puis vérifier, au bout de quelques secondes, la relation avec ce qui m'occupait précédemment. Enfin, le moindre écart dans mon régime, le plus léger changement dans mes habitudes, fait naître en moi des rêves ou des hallucinations hypnagogiques en désaccord complet avec ceux de ma vie de tous les jours. J'ai donc presque constamment en moi la mesure des effets produits par des causes qu'il m'est possible d'apprécier. »

Les observations prises avec cette méthode, en dehors de la puissance d'analyse remarquable à bien des points de vue d'un auteur tel que Maury, montre qu'elle exige une éducation toute spéciale et secondement qu'elle peut porter nettement le cachet d'une systématisation quelconque. Les observations peuvent être facilement systématisées, surtout quand l'introspection est portée pendant l'évolution de ses délicats phénomènes psychologiques sur la genèse et la structure de certains éléments psychiques dépassant donc la simple description. Plus l'analyse est pure, plus la construction est empreinte des données aprioriques conscientes ou plutôt subconscientes ; — pourtant la méthode est seule capable, malgré ses nombreuses causes d'erreur, de pénétrer dans la structure intime de la vie du rêve ou plutôt des hallucinations hypnagogiques.

Citons un exemple qui se réfère aux idées suggérées : « Un soir, je m'étais assoupi dans mon fauteuil ; mon oreille percevait encore vaguement les sons ; mon frère prononce ces mots d'une voix assez forte : Prenez une allumette. La bougie venait de s'éteindre. J'entendis, à ce qu'il paraît, ces mots, mais sans m'apercevoir que c'était mon frère qui les avait dits, et dans le rêve que je faisais alors, je m'imaginai aller chercher une allumette. Réveillé quelques secondes après, on me rapporte la phrase de mon frère. J'avais déjà oublié l'avoir entendue, quoique dans le moment j'y eusse répondu, ma réponse avait été toute machinale. Pourtant, en rêve, je croyais aller de mon propre mouvement chercher une allumette, je ne me doutais pas que j'exécutais un ordre. Une autre fois, comme je m'endormais au coin du feu, ma femme m'adressa quelques paroles; je sortis de ma somnolence, mais je ne pus discerner si les paroles qu'elle avait fait entendre étaient les siennes ou avaient été prononcées par moi. »

Cette méthode a été largement utilisée par le marquis d'Hervey, dans son classique volume, où l'introspection fait souvent oublier à l'auteur qu'il existe autre chose dans la vie mentale que des images et des associations d'images.
En d'autres mots le sujet s'observe lui-même et avec la collaboration d'un aide on peut provoquer des réveils à des heures fixes en le chargeant en même temps de porter les remarques qu'il aurait pu observer pendant l'assoupissement ou le sommeil.

La grande majorité des expérimentateurs se sont servis de cette méthode; elle exige une habitude de s'analyser et encore une habitude particulière d'analyser ses rêves et de s'accommoder à l'expérience instituée. Il faut en outre que l'expérimentateur ait une vie onirique assez riche et qu'il peut diriger volontairement. Cette méthode présente pourtant bien des désavantages. Le sujet voulant expérimenter sur soi-même modifie, par le fond même de l'institution des recherches, la nature du phénomène qu'il veut étudier. On lui avait adressé des reproches. On fabrique subconsciemment une autre suggestion systématique, qui persiste et se systématise de plus en plus malgré la limpidité du discernement de l'expérimentateur. Sans doute, les inconvénients peuvent être diminués, mais les inconvénients existent quand même. Sante de Sanctis relevant certaines critiques analogues à la méthode de Maury cite une observation, prise entre tant d'autres, et qui démontre la grande influence qu'a exercé sur le sommeil et les rêves le fait d'une attention particulière portée sur les rêves. La voici in extenso. Une demoiselle fort intelligente et d'une culture supérieure s'entretenait un jour avec cet auteur sur ses études sur la vie des rêves et « il lui demanda si elle avait la tendance de rêver des scènes émotionnelles, qui lui étaient arrivées dans la vie. Elle répondit que non ; elle ajouta encore qu'elle rêvait très rarement et que ses rêves se réfèrent généralement à des sujets de sa vie d'un ordre secondaire et de nature indifférente. Voyant cette demoiselle quelques jours après, elle lui dit qu'après la conversation qu'elle a eu avec lui, elle avait rêvé une scène très douloureuse qui lui était arrivée à elle et à sa mère deux ans auparavant; le rêve était si vivace et émotionnant qu'elle a été réveillée sur le coup. » Chaque expérimentateur a pu remarquer, des faits semblables et pour ma part, dans ma longue carrière de noctambule, j'ai eu maintes fois l'occasion d'assister à des troubles profonds de sommeil, de même qu'à des déviations de la nature habituelle des rêves, à cause d'une attention trop soutenue portée sur l'assoupissement, sur le réveil, ou sur le moment où les paupières tombent lourdes. Je comprends parfaitement le cas du philosophe genevois Lésage, qui tomba dans une grande insomnie, voulant observer ce qui se passe dans son sommeil au moment du passage de la vie de veille au sommeil. Il n'y a pas lieu d'exposer ici nos recherches, car j'aurais pu citer le cas d'un jeune médecin, un de mes sujets qui, s'intéressant vivement à ses recherches, perdit petit à petit l'habitude du sommeil et on avait été forcé de lui administrer des hypnotiques pour lui faire revenir le sommeil.

Avec un peu d'habitude et possédant surtout une grande puissance de contrôle sur soi-même, la méthode Maury peut fournir des observations précieuses et le volume classique de cet auteur est un exemple digne de tout éloge, tout en tenant compte que l'auteur entreprend une œuvre personnelle.
Rappelons encore à propos de cette méthode certaines recherches qui se rattachent de cette première catégorie, tout en différant sur bien des points.

L'expérimentateur, au lieu d'observer le rêve systématiquement se préoccupe de certains rêves, d'un groupe défini d'images, laissant de côté les autres ; on cherche en d'autres mots de faire des analyses qualitatives subjectives. Comme recherches je pourrais citer comme exemple, celles de M. Havelock-Ellis, celle de M. Titchener, etc, et les quelques observations que M. A. Binet a écrit lors de l'analyse du travail de M. Havelock-Ellis.

M. Titchener a étudié et analysé le rêve concernant les images gustatives. On constate des rêves contenant des images gustatives sans qu'on puisse accuser des corrélations décelables avec de réelles modifications physiologiques. L'examen de la salive n'a relevé, lors de l'observation d'un rêve, rien d'anormal ; il ne s'agissait que d'une auto-suggestion.
M. Titchener décrit cette observation. Les rêves gustatifs sont d'ailleurs très rares, Mlle Calkins en a relevé 2 sur 335 cas et n'a pu en constater aucun sur 298 observations.

La subjectivité entre moins en jeu dans cette méthode et l'orientation des recherches et dans une bonne mesure assez objective. L'expérimentateur délimite les conditions de l'expérience, la nature des rêves qui l'intéressent et s'il cueille des observations soit sur lui, soit sur d'autres sujets, les documents cessent d'avoir seulement une valeur subjective.


II. La Méthode objective

Dans cette catégorie de méthodes on doit distinguer en premier lieu la méthode consistant à étudier les rêves d'autrui mais à l'aide de son analyse personnelle et en second lieu celle dans laquelle on provoque des rêves artificiels et on a recours toujours à l'analyse du sujet pour saisir le résultat des modifications ou des excitations sensorielles provoquées. Sante de Sanctis appelle cette méthode et avec raison introspective indirecte, par opposition à la précédente qu'il appelle introspective directe. En effet, l'objectivité réside seulement dans le changement du sujet en expérience, mais en tant qu'analyse psychologique, le sujet fait part toujours à une introspection mentale, avec la seule différence qu'il n'est pas influencé par la nature de l'expérience en jeu, ou au moins très peu et qu il réagit objectivement.

Presque toutes les recherches expérimentales ont été faites avec cette méthode.

A. Maury avait employé aussi cette méthode, quoique un peu autrement conçue. Dans son chapitre sur le rêve et l'aliénation mentale, cet auteur note neuf observations précises de recherches expérimentales ; il a été conduit à entreprendre des recherches à la suite de l'observation suivante fournie par le hasard : « Je me rappelle, écrit cet auteur, que, dans mon enfance, m'étant assoupi par un effet de la forte chaleur, je rêvais qu'on m'avait placé la tête sur une enclume et que l'on me la martelait à coups redoublés. J'entendais, en rêve, très distinctement, le bruit des lourds marteaux; mais, par un effet singulier, au lieu d'être brisée, ma tête se fondait en eau ; on eût dit qu'elle était faite de cire molle. Je m'éveille, je me sens la figure inondée de sueur, transpiration qui n'était due qu'à la haute température. Mais ce qui était plus remarquable, j'entends, dans une cour voisine, habitée par un maréchal, le bruit très réel de marteaux. Nul doute que ce ne fût ce son que mes oreilles avaient transmis à mon esprit engourdi. Il y avait là une sensation réelle, associée à un fait imaginaire... »


Partie : 1 - 2 - 3 - 4

Utilisation des cookies

carnets2psycho souhaite utiliser des cookies.

Vous pourrez à tout moment modifier votre choix en cliquant sur Gestion des cookies en bas de chaque page.