Partie : 1 - 2

La nostalgie et la neurasthénie - Partie 2

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1900, par Lubetzki S.

Benoist de la Grandière se sert à peu près des mêmes arguments pour démontrer que la nostalgie n'est ni une monomanie, ni une mélancolie. Il la considère comme une passion lente et continue, comme une excitation de l'imagination; « elle se produit, dit-il, par l'union de l'imagination et du souvenir ». Pour lui aussi la nostalgie est une névrose essentielle. F. Widal se rallie également à cette opinion.
Comme on le voit, la nature de la nostalgie est loin d'être élucidée: les théories relatives au classement de cette affection n'ont rien de constant. Un point cependant paraît bien établi: c'est que le mal du pays n'est lié à aucune lésion organique, et les derniers auteurs qui se sont occupés de la nostalgie sont d'accord pour la considérer comme une névrose. Mais quelle névrose? Montrer que celle-ci n'est autre que la neurasthénie, tel est — nous l'avons dit — le but principal de cette courte étude.
Comparons les caractères de la nostalgie avec ceux de l'épuisement nerveux et voyons si la ressemblance est parfaite: c'est à cette condition, en effet, que notre démonstration aura de la valeur.

La nostalgie et la neurasthénie présentent d'abord ce caractère commun: l'absence de signes par lesquels se traduisent d'ordinaire les lésions organiques. L'étiologie est aussi la même dans les deux cas. A l'origine de la plupart des états neurasthéniques, en effet, on trouve une passion dépressive. « Le surmenage du cerveau dans la sphère des facultés affectives, dit M. Bouveret, le chagrin, l'inquiétude, l'anxiété, la jalousie, l'amour contrarié, les déceptions, le remords, la tristesse profonde causée par certaines maladies comme la syphilis, c'est-à-dire toutes les passions dépressives, sont autant de causes de l'épuisement nerveux et dont l'influence fâcheuse s'exerce bien plus souvent encore que celle du surmenage intellectuel. Si je ne craignais d'exagérer, je dirais volontiers, en me basant sur mon expérience personnelle, que tout neurasthénique a plus ou moins souffert dans la sphère de ses facultés affectives. »
Or, c'est une passion dépressive, — le regret de la patrie et de la famille absentes et la tristesse qui en résulte, — qui crée les troubles psychiques et fonctionnels par lesquels se manifeste le mal du pays.
Si cette passion dépressive conduit le nostalgique aux troubles en question, c'est que, chez lui comme chez le neurasthénique, la force de résistance aux sensations et aux impressions morales est considérablement diminuée. Comme le neurasthénique, le nostalgique essaye de lutter contre la tristesse, contre les préoccupations qui le tourmentent; mais, comme lui aussi, il est souvent impuissant, à cause de la diminution de son énergie, à soutenir longtemps la lutte.
C'est cette difficulté à chasser de leur esprit les préoccupations morales qui les obsèdent qui rend la vie de bon nombre de neurasthéniques si amère. C'est aussi le cas du nostalgique. Reporter sa pensée vers le foyer domestique, quand on en est éloigné, c'est là un sentiment commun à tous les hommes. Mais, alors que ce sentiment est passager, momentané chez l'individu dont le système nerveux est bien équilibré et qui est capable d'imposervite un frein à son imagination, chez le nostalgique, au contraire, le regret que cause l'éloignement des siens devient durable, tenace. — Voilà pourquoi « les personnes nerveuses, délicates, douées d'une vive sensibilité, d'un caractère doux et timide, sont de toutes celles qui sont le plus sujettes à cette affection, parce qu'elles sont très impressionnables et qu'elles ressentent vivement les peines comme le plaisir ». Voilà pourquoi aussi la nostalgie frappe souvent les gens atteints d'une autre maladie, celle-ci ayant affaibli, épuisé le système nerveux.

La même cause produit donc la nostalgie et la neurasthénie. La symptomatologie est-elle aussi la même dans les deux cas?
Nous avons déjà montré, en parlant de l'étiologie, la ressemblance que présentent les troubles psychiques de la nostalgie avec ceux de la neurasthénie; nous avons vu que, dans les deux cas, le patient conserve l'entière conscience de son trouble moral.
Les troubles psychiques de la nostalgie sont ceux que l'on observe dans la neurasthénie procédant d'une passion dépressive, de la perte d'un être aimé, de l'amour malheureux, par exemple. F. Widal insiste sur l'analogie que présente la passion du nostalgique avec celle de l'amoureux. « L'amoureux, contrarié dans ses aspirations, dit-il, devient la proie d'une idée fixe qui le rend indifférent, comme le nostalgique, à tout ce qui n'a pas trait à l'objet préféré; comme le nostalgique, il ne rêve qu'à la réalisation de son idée fixe, comme lui, il devient triste, timide, enclin à la solitude et perd à la longue l'appétit, le sommeil et l'embonpoint; comme lui enfin, il guérit par le seul accomplissement de son désir. »
Le même auteur, résumant les symptômes observés par lui et par la plupart des auteurs, donne des troubles fonctionnels de la nostalgie la description suivante:
« Une fois complètement dominé par sa passion, le nostalgique perd le sommeil.
Son système nerveux troublé profondément ne tarde pas à réagir sur les fonctions des différents organes qu'il tient sous sa dépendance. Les traits du malade s'affaissent, et prennent l'expression de la tristesse et de la honte, son visage perd sa fraîcheur et pâlit; sa tête, chaude, est souvent douloureuse, ses mouvements deviennent lents, incertains, nonchalants. Ses yeux fixes, ternes, languissants, s'enfoncent dans les orbites, son regard est vague et distrait. Bientôt l'anémie se déclare, le pouls se déprime, s'irrégularise et se ralentit considérablement.
Le cœur palpite, la respiration perd de sa régularité et s'entrecoupe de soupirs; des douleurs vagues, erratiques, variables en intensité, s'ajoutent à tous ces symptômes.
L'appétit diminue, puis s'éteint; la bouche s'empâte, l'épigastre s'endolorit, les fonctions assimilatrices languissent, l'amaigrissement se prononce et progresse rapidement, grâce à une dyspepsie nerveuse, souvent flatulente, s'accompagnant tantôt de diarrhée, tantôt de constipation et aboutissant parfois au refus absolu de nourriture.
Les fonctions génitales s'émoussent et s'éteignent à leur tour; la femme voit ses époques menstruelles se troubler ou se supprimer. »

Quel est le médecin qui, se trouvant en présence d'un malade qui accuserait les symptômes ci-dessus décrits, ne ferait le diagnostic de neurasthénie?
Faciès spécial (pâleur et amaigrissement du visage, œil-alangui, sans éclat, regard vague, etc.), céphalée, insomnie, dépression cérébrale, asthénie neuro-musculaire, dyspepsie nerveuse, palpitations de cœur, douleurs névralgiques (vagues, erratiques, variables en intensité), diminution de l'appétit sexuel et de la puissance virile, et, chez la femme, troubles ou suppression de la menstruation, tous les symptômes classiques de la neurasthénie se retrouvent dans la description que nous avons reproduite.

La neurasthénie et la nostalgie n'ont pas seulement la même étiologie et la même symptomatologie: l'évolution est aussi identique dans les deux cas.
Si la nostalgie ne guérit pas, si elle est tenace, elle peut, comme la neurasthénie, conduire à la tuberculose.
Comme la neurasthénie aussi, le mal du pays, lorsqu'il est intense et dure depuis longtemps, qu'il altère profondément la nutrition, peut aboutir à une terminaison fâcheuse.
De même que le neurasthénique, le nostalgique peut devenir un hypocondriaque et un mélancolique. Enfin, la nostalgie, comme la neurasthénie, peut mener au suicide.
C'est le traitement moral qui est surtout efficace dans la nostalgie; c'est aussi celui qui réussit le mieux chez les neurasthéniques déprimés. De même que dans la nostalgie, dans la plupart des cas de neurasthénie, l'éloignement de la cause suffit le plus souvent à entraîner la guérison.

Entre la nostalgie et la neurasthénie la ressemblance est donc parfaite: toutes deux sont caractérisées par les mêmes troubles, sont produites par la même cause et évoluent de la même façon. Rien n'autorise à différencier l'une de l'autre, à faire du mal du pays une affection spéciale. Les chagrins intenses causés par l'éloignement des lieux et des personnes aimés agissent à la façon de toute autre passion dépressive pour produire un état neurasthénique appelé nostalgie. Voilà pourquoi, après 1880, époque à laquelle la monographie de Beard commença à être connue, on n'a plus écrit sur la nostalgie: quand on se trouve en présence d'un cas de nostalgie, on fait le diagnostic de neurasthénie, diagnostic qui est exact.
Il y a pourtant, croyons-nous, intérêt, dans certaines circonstances, à se rappeler que la neurasthénie peut avoir pour cause le regret de la patrie et de la famille absentes, le retour au foyer domestique étant le traitement le plus efficace.


Partie : 1 - 2

Utilisation des cookies

carnets2psycho souhaite utiliser des cookies.

Vous pourrez à tout moment modifier votre choix en cliquant sur Gestion des cookies en bas de chaque page.