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Etat mental des aphasiques - Partie 2

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1902, par Vigouroux A.

Il fait une exception pour une forme très rare d'aphasie dans laquelle l'intelligence est complète: c'est celle où les malades écrivent facilement et traduisent exactement leurs pensées par l'écriture. « Cette forme m'a paru tellement différente de l'autre que je me suis cru le droit d'en faire une espèce à part. » Il cite l'observation d'un facteur aux halles, très jeune, qui vint le consulter et lui remit une note écrite en bons termes et d'une main fort assurée où se trouvait l'histoire de sa maladie. Ce jeune homme guérit et pendant le cours de sa maladie put régler toutes ses affaires.
En somme, Trousseau admet l'existence de mémoires partielles qui peuvent être altérées simultanément ou séparément à des degrés divers et parmi elles, c'est la mémoire des mots qui est le plus souvent touchée. L'aphasique a perdu les formules de la pensée. « Assurément l'intelligence peut errer à l'aventure sans avoir corporifié ses idées, mais dès qu'elle essaye de les concréter, condition que je considère comme indispensable pour les coordonner, il me parait impossible de ne pas les revêtir de leur enveloppe matérielle: les mots. Combien rudimentaires doivent être les conceptions de l'intelligence sans eux ».
De telle sorte que Trousseau établissait deux variétés d'aphasies, l'une, la plus connue, dans laquelle l'idéation est lésée, l'autre, exceptionnelle (hystérie ?) où seules les fonctions motrices d'articulation sont altérées et où l'écriture est indemne; dans la première, les facultés intellectuelles sont lésées plus qu'elles ne le paraissent au premier abord, dans l'autre, elles sont intactes. En somme, l'aphasique est le plus souvent un affaibli intellectuel. Cette conception des aphasies fut acceptée par les médecins les plus compétents de l'époque: Gairdner, Hughlings Jackson, Wiliam Ogle, Prophan, etc.
L'opinion de Trousseau sur l'infériorité intellectuelle des aphasiques prévalut pendant longtemps, elle fut adoptée par la plupart des auteurs qui s'occupèrent de la question. Cependant il fut publié de nombreuses observations d'aphasiques ayant conservé l'intégrité apparente des facultés intellectuelles.
Une discussion intéressante eut lieu, à ce sujet, à la Société médico-psychologique en 1876 et 1877; et les conclusions de Lasègue, poussant à l'extrême la théorie de Trousseau, affirmant qu'en résumé l'aphasique « est un être inférieur, infirme et souvent très irritable », ne furent acceptées qu'avec réserve par ses collègues. M. Falret, après avoir nettement délimité l'aphasie, conclut qu'il existe plusieurs catégories dans lesquelles on peut ranger les aphasiques au point de vue médico-légal: ceux dont l'intelligence est manifestement conservée, ceux dont les facultés intellectuelles ont baissé, qui ont une émotivité exagérée, et une volonté affaiblie, enfin ceux qui sont atteints de démence, à la fois irresponsables et incapables; « il sera bon, dit-il, d'étudier avec soin chaque cas particulier ». C'est également la conclusion à laquelle aboutit Legroux: l'appréciation de l'état mental ne peut se résoudre par une formule, chaque cas particulier comprenant une appréciation différente.
Tardieu écrit que l'aphasie, quoiqu'étant compatible avec l'intégrité de l'intelligence, s'accompagne très ordinairement d'un certain affaiblissement et doit donner lieu, pour chaque cas particulier, à un examen attentif.
Billod cherche une caractéristique de l'état mental des aphasiques, paraissant jouir de toutes leurs facultés intellectuelles, dans la diminution de la force morale ou de l'énergie du caractère, diminution, qui se manifeste par la facilité avec laquelle ils s'émeuvent et pleurent, et qui les rapproche de l'enfance et de la sénilité.
Lasègue leur reprochait de ne pouvoir et de ne vouloir faire le moindre effort pour répondre aux questions qu'on leur pose, « ils ne cherchent pas à obvier aux défectuosités du langage parlé par une mimique intelligente ou par tout autre moyen ils ne feront que des gestes de mauvaise humeur... Le malade est impuissant à entrer en érection intellectuelle, il y a là une infériorité manifeste, une diminution sensible de la délibération intérieure, de la capacité de vouloir ».
Cependant la Société de médecine légale combattait en 1873 les conclusions d'un travail de M. Jules Lefort, lequel proposait de pourvoir tous les aphasiques d'un conseil judiciaire pour les assister dans la direction de leurs affaires.

La complexité des faits observés explique pourquoi les premiers observateurs, préoccupés de l'état mental des aphasiques, ne purent que poser le problème sans parvenir à le résoudre. Les découvertes et travaux de Wernicke, de Kussmaul, d'Exner, de Charcot ouvrirent une période nouvelle à l'étude de la psychologie et de la pathologie du langage.
Pour Wernicke, la première circonlocution sphénoïdale est le centre des images auditives, elle renferme les images souvenirs des impressions sensorielles antérieurement perçues; la troisième circonvolution frontale conserve et élabore les idées de mouvement de la phonation; ces deux centres sont reliés entre eux par des groupes de fibres. La parole est fonction de l'activité de ces deux centres, le premier est le plus important, car il est à la fois l'éducateur et régulateur de tout le mécanisme psycho-sensoriel servant à l'organisation et à l'émission du langage. La parole intérieure devient un phénomène de réviviscence des images acoustiques des mots, elle est une manifestation de l'activité de certains groupes déterminés de cellules sensorielles et motrices de l'écorce cérébrale; d'où il résulte, que le syndrome aphasie peut être causé par toutes les lésions de l'aire cérébrale du langage: il y aura aphasie sensorielle, si les images auditives des mots ont disparu, aphasie motrice ou aphémie, s'il y a perte des représentations motrices d'articulation. L'interruption des communications des centres, entre eux ou avec les autres parties du cerveau, produira diverses variétés d'aphasie, en détruisant l'harmonieuse synergie fonctionnelle qui assure à l'état normal l'exercice régulier de la fonction du langage.
Kussmaul pousse plus loin l'analyse de l'aphasie sensorielle, il distingue deux éléments souvent associés mais susceptibles de se montrer isolément: la surdité verbale, produite par la destruction du centre auditif et la cécité verbale, produite par la destruction du centre visuel des mots.
Charcot tout en acceptant les idées de Wernicke et de Kussmaul, arriva à des conclusions un peu différentes. Il n'admet pas la prédominence du centre auditif que Wernicke considère comme l'organe primordial du langage, les autres organes servant à la parole lui étant subordonnés. Pour Charcot, les mots parviennent à notre connaissance par quatre voies différentes: nous pouvons les entendre résonner à notre oreille (voie auditive), les voir écrits (voie visuelle), les prononcer (voies motrices d'articution), ou les écrire (voies motrices graphiques). Pour nous rappeler les mots nécessaires à l'expression de nos pensées nous évoquons, sous la forme d'images auditives, visuelles, motrices, phonétiques ou motrices graphiques, chacun des groupes de sensations emmagasinées dans un point spécial des centres sensitifs ou moteurs cérébraux. D'autre part, par suite de dispositions héréditaires ou de l'éducation, un des centres peut devenir prédominant, plus actif et plus perfectionné que les autres: chez les uns, c'est le centre visuel, chez les autres, l'auditif ou le moteur; d'où, les types d'auditifs, de visuels ou de moteurs, décrits par M. Ballet dans sa thèse d'agrégation; de là, également, les quatre syndromes de l'aphasie, produits par la perte de l'une de ces images: surdité et cécité verbale, aphasie et agraphie, syndromes qui, isolés, forment les types purs et qui, le plus fréquemment, se combinent pour former les types complexes.
Avec cette nouvelle psychologie du langage M. Ballet analysa plus en détail l'état mental des aphasiques. Dans les types purs, et suivant la formule cérébrale physiologique antérieure du malade, il est possible de se rendre compte du trouble apporté, par la destruction d'un des centres, dans le fonctionnement de son intelligence. Chez un auditif, la parole, l'écriture, la lecture même étant sous la dépendance de l'audition mentale, la lésion du centre auditif des mots en même temps que la surdité verbale produira des troubles du langage articulé ou paraphasies, de l'écriture et de la lecture; ces troubles varieront d'intensité, suivant le degré de culture du sujet, c'est-à-dire, suivant l'indépendance qu'auront acquis les centres de l'écriture et de la lecture par l'habitude et l'éducation. Cette même lésion produira des désordres bien moins graves chez un visuel ou un moteur. « L'importance des différentes opérations constitutives du langage intérieur, pouvant s'exercer isolément ou affecter une indifférence relative, n'est pas la même chez tous les individus visuels, auditifs, moteurs; c'est pourquoi les conséquences d'un même trouble (cécité verbale) varient suivant les personnes et détermine chez les uns un affaiblissement progressif de l'intelligence et restent compatibles chez les autres avec une assez grande activité de cette faculté. » (Ballet).


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