Signes de la prédisposition vésanique

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1898, par Falret J.P.

Les pages qui suivent semblent écrites d'hier. En effet, c'est ainsi que nous caractérisons encore aujourd'hui la prédisposition à la folie.

Sans avoir la prétention de faire connaître ici toutes les variétés d'intelligence, de sensibilité et de motilité, qui peuvent dénoter une prédisposition à la folie, nous devons insister sur les phénomènes les plus saillants, dans la sphère des sensations, des idées et des sentiments.

Les sensations, d'ordinaire plus vives que chez la généralité des hommes, acquièrent aisément une vivacité qui va jusqu'à l'illusion. Dans quelques circonstances, elles restent toujours au-dessous de la moyenne, ou bien elles offrent chez le même individu tour à tour exaltation et affaissement, ou bien encore on remarque le contraste de l'énergie extrême des unes et de la presque nullité des autres. La surface cutanée présente une grande impressionnabilité au moindre contact des corps extérieurs et aux plus légers changements de l'atmosphère; souvent aussi, elle offre des alternatives rapides de chaud et de froid, ou une chaleur brûlante dans certaines parties, tandis que d'autres, les pieds surtout, sont comme saisies d'un froid glacial.

Mais, de tous les signes de la prédisposition à la folie, les plus remarquables, les plus importants, ressortent des manifestations des centres nerveux, qui sont les instruments principaux, de l'innervation, de l'intelligence et du moral de l'homme.

Mentionnons d'abord les céphalalgies, les migraines plus ou moins vives et plus ou moins étendues, les irritations et les inflammations encéphaliques, directs ou secondaires, ainsi que les résultats, qui, comme circonstances commémoratives, ont une valeur réelle. Joignons à ces phénomènes les convulsions, les spasmes, les crampes, les tremblements, les lassitudes habituelles ou une profonde prostration, alternant rapidement avec une grande énergie musculaire, qui méritent d'être notés avec soin, comme lésions de la motilité, parce que l'expérience a prouvé que l'aliénation mentale en avait été fréquemment précédée. Mais ce que nous devons considérer d'une manière tout à fait particulière, ce sont les manifestations de l'intelligence et du moral, comme signes de prédisposition à cette maladie. Il est, en effet, un grand nombre d'individus, qui, prédisposés à l'aliénation, présentent de bonne heure de graves et de fréquentes singularités morales. Si vous les examinez de près, vous leur trouverez des caractères qui offrent entre eux les plus grandes oppositions, mais qui sont toujours hors ligne et nullement en rapport avec leur âge et leur éducation. Les uns ont une sensibilité excessive et de vives impatiences, pendant lesquelles ils sont comme hors d'eux-mêmes; les autres sont d'une froideur et d'une apathie extrêmes. Ceux-ci, très gais, très excentriques, recherchent toutes les joies du monde; ceux-là, réservés, sombres, mélancoliques, vivent à l'écart et versent des larmes involontaires, remplacées quelquefois par de brusques saillies de gaieté, qu'ils déplorent bientôt amèrement. Chez d'autres, vous observez la vanité ou l'humilité portées au plus haut degré, l'irrésolution ou la témérité des déterminations, la timidité ou la hardiesse, la crainte ou la forfanterie du danger, le besoin d'ordre dans les plus petits détails, ou un désordre contre lequel échouent tous les conseils; des scrupules plus ou moins nombreux, ou de l'indifférence et même quelquefois un sinistre hideux; l'instabilité des sentiments, la facilité du caractère qui va jusqu'à l'abnégation de la personnalité, ou bien la fixité des sentiments, la fermeté de volonté qui tend à la domination. Enfin, les personnes chez lesquelles le sentiment n'est pas équilibré par la raison, qui joignent à une sensibilité vive l'aptitude à s'arrêter longtemps aux mêmes impressions, à se laisser dominer et entraîner par elles; celles chez lesquelles les affections, les désirs et les répugnances, dégénèrent fréquemment en passions, qui montrent une ardeur et un zèle démesurés pour tout ce qu'elles affectionnent et pour tout ce qu'elles entreprennent, passant rapidement de l'enthousiasme au découragement, et du découragement à l'enthousiasme; ces personnes, toutes de sentiment, sont les plus exposées aux maladies mentales.

Viennent ensuite, comme signe de la prédisposition, certaines manifestations de l'intelligence, mais au second rang seulement; car l'aliénation mentale a bien plus souvent son origine dans les sentiments que dans les idées, dans la partie affective, que dans la partie intellectuelle de notre nature. Aussi nous bornerons nous à dire ici que le triste présage de l'aliénation mentale se tire moins du degré d'activité de l'intelligence, au-dessus ou au-dessous de la moyenne, que d'un défaut d'harmonie entre les facultés intellectuelles, des singularités et des contrastes qu'elles présentent, contrastes analogues à ceux que nous venons de signaler dans les qualités affectives.

L'observation prouve que les individus ainsi constitués, sous le rapport du moral et de l'intelligence, qui font le désespoir ou l'admiration de leurs parents et de leurs instituteurs, sans y être fatalement voués, sont plus prédisposés que d'autres à la folie; que leur état réclame des soins plus empressés, plus éclairés, plus constants, et l'on ne saurait se défendre d'une légitime sollicitude lorsqu'aux singularités de caractère et d'intelligence se joint la notion menaçante de l'hérédité de cette affection.


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