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La science expérimentale de la pensée - Partie 4

Revue scientifique

En 1889, par Ardigo R.

Je regrette vivement de ne pouvoir qu'effleurer cette partie, si riche en observations importantes, de la science expérimentale de la pensée. Je ferai seulement remarquer que le merveilleux engrenage des centres hiérarchiquement subordonnés, et préposés aux différents appareils organiques, rend possibles la succession et la coordination multiple et variée des opérations physiologiques et psychologiques; de telle sorte que, malgré leur petit nombre, ces appareils suffisent néanmoins pour fournir d'innombrables formations et opérations dans le domaine physiologique en général, et en particulier dans le domaine psychologique; et cela surtout chez l'homme, dont le mécanisme nerveux, construit sur le même type, mais beaucoup plus parfait, est libre de produire, grâce à des actes successifs de la volonté, un ensemble d'opérations qui ne sont possibles qu'isolément, les unes ou les autres, chez les animaux inférieurs, sous l'impulsion de ce qu'on appelle, chez eux, leur instinct.

Or, les fonctions inhibitrices et dynamogènes, si bien étudiées par M. Brown-Séquard, et qui, en devenant conscientes, donnent lieu à la sensation volonté, ont leur source causale dans la douleur, les premières, et dans le plaisir, les deuxièmes; mais la douleur et le plaisir ne sont pas autre chose que les formes de la sensibilité en général, négatives les unes, positives les autres, — selon qu'elles correspondent à un travail physiologique positif, de restauration ou de conservation, ou négatif de destruction.

C'est pourquoi, chez les animaux en général, et particulièrement chez l'homme, la douleur et le plaisir sont également nécessaires à l'existence et au développement des aptitudes de l'espèce: la première, comme moniteur, qui avertit et retient dans les actions nuisibles à la vie; le second, comme appât qui pousse à la satisfaction des besoins périodiques ou accidentels.

Mais si le fonctionnement inhibitoire négatif et le fonctionnement dynamogène positif sont déterminés et réglés par la douleur et le plaisir, il faut encore, pour en bien comprendre l'agencement, chez l'adulte, tenir compte d'un fait psychologique de la plus haute importance: de l'habitude.

Je l'ai déjà dit: tout acte psycho-physiologique laisse après lui une prédisposition à sa reproduction, soit un coefficient dynamique nouveau pour les actes ultérieurs, vis-à-vis desquels il peut acquérir une influence impulsive, supérieure même à celle des sensations contingentes. Aussi voyons-nous, chez l'adulte, se produire fréquemment des décisions volontaires opposées à l'impulsion du plaisir ou de la douleur qui le sollicite à agir ou à s'abstenir; mais conformes à ce que l'on nomme son caractère; or, le caractère n'est pas autre chose que l'ensemble des habitudes ou dispositions psychiques formées par l'activité précédente d'un individu donné, selon sa constitution particulière et selon les circonstances qui ont agi sur lui.

Parmi les circonstances productrices des habitudes de l'homme, les plus remarquables et les plus importantes sont les réactions sociales, de la nature desquelles résulte la genèse psychologique spontanée du devoir et de l'obligation, réactions qui se réduisent, en dernière analyse, à une espèce d'instinct moral, au souvenir accumulé, indistinct et inévitable de douleurs éprouvées en agissant d'une façon nuisible à ses semblables.

C'est grâce à ce processus que l'évolution naturelle de l'idée du devoir se revêt de plus en plus d'un caractère désintéressé, que l'on nomme habituellement altruiste et que j'aime mieux appeler antiégoïste; car, si à l'origine il provient de la raison effective de la douleur ou du plaisir actuels, peu à peu, l'habitude, qu'il est impossible de ne pas contracter, prévaut, par son énergie propre, sur l'énergie hédonistique de l'impression actuelle.

Et c'est ainsi que les idéalités universellement humaines deviennent de véritables formations constitutionnelles de l'âme de chaque homme; à tel point qu'elles opèrent cette métamorphose miraculeuse de l'activité volontaire, qui commence par être foncièrement égoïste et qui finit par devenir la vertu désintéressée.

Tel est le résultat final de l'immense effusion de forces mises en œuvre par la nature pour élaborer le plus sublime de ses produits, — l'homme, — qui n'est plus un simple animal vivant pour boire et pour manger, mais un être saint, travaillant à faire le bien.


III

Voilà comment la science expérimentale de la pensée dévoile le processus de la genèse naturelle de celle-ci, dans toutes ses manifestations; elle parachève ainsi le cycle de l'explication rationnelle de l'existence, dont les différentes formes sont scrutées séparément par les différentes sciences professées dans ce temple du savoir.

La physique et la biologie ont d'abord dissipé le mirage du surnaturel dans le monde matériel; l'astronomie l'a ensuite banni des espaces célestes. Mais l'illusion demeurait dans la sphère de la conscience; c'est à la science expérimentale de la pensée que nous devons sa disparition et la conquête au sceptre de la raison de cette dernière citadelle où se retranchait encore la foi et d'où elle continuait encore à exercer son action arrestatrice sur toutes les branches du savoir; celles-ci ne furent tout à fait libres que du moment où le jour se fit sur le mécanisme de la pensée.

Je suis heureux et fier qu'en énonçant ici ces vérités, je ne fais que suivre la tradition des deux grands initiateurs de la Renaissance, qui ont professé dans cette enceinte: Pomponazzi et Galilée.

Pomponazzi déclarait hautement que l'idée de l'intervention du surnaturel dans les phénomènes de la nature était une idée de la foule ignorante et profane; il affirmait nettement que le libre arbitre humain n'est pas en dehors de ce qu'il appelait le falum, c'est-à-dire de l’enchaînement indissoluble des causes et des effets, et que le corps est le substratum indispensable de toutes les manifestations de l'âme.

Dans le célèbre paragraphe 38 de son Saggiatore, Galilée expose avec une clarté merveilleuse le principe de la relativité des sensations dans son véritable sens, tel qu'on l'a reconnu aujourd'hui, — et il est le premier à le faire. De sorte qu'il est le véritable fondateur non seulement de la physique scientifique, mais encore de la psychologie scientifique; peu importe que la physique ait fait immédiatement de rapides progrès, tandis que la psychologie n'a commencé à en faire que beaucoup plus tard; elle ne pouvait, en effet, prendre son essor qu'à la suite des découvertes prodigieuses dans tous les domaines du savoir, qui devaient lui servir de base, et grâce aux institutions modernes, qui permettent l'expression libre et entière des vérités jadis défendues.


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