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La machine à mesurer la pensée - Partie 2

La revue des revues

En 1898, par Caze L.

Or, ces trois méthodes démontrèrent avec unanimité, que pendant les dix premières minutes, il y avait une forte baisse dans la précision du souvenir; qu'entre dix et vingt minutes, la mémoire restait relativement fidèle, mais qu'au bout de quarante minutes, elle avait pratiquement cessé d'exister.

Si nous supposons maintenant que ces divisions du temps soient figurées par des lignes courbes, chacune de ces courbes montrera que la mémoire s'est altérée ou profondément ou légèrement. Il y a lieu, il est vrai, de tenir compte de l'intervention de certains facteurs; car, lorsqu'on demande au sujet de reproduire, soit ce qu'il vient de lire dans son livre, soit ce que son maître vient d'énoncer, on lui demande, en même temps qu'un effort de mémoire, un effort d'expression. Il faut faire également entrer en ligne l'embarras, la timidité, le sentiment de la responsabilité, mille autres choses qui pourront contribuer à modifier le résultat final.

La même chose se produirait avec la courbe figurant la méthode de sélection. Dans l'expérience du choix des carrés, un élément de contraste vient se mêler au jugement. On demande en effet au sujet de choisir, dans un nombre donné de carrés, celui qui se rapproche le plus du carré montré au début de l'expérience. Or, ces carrés sont différents entre eux, si bien que le jugement du sujet peut être soit aidé, soit gêné par leur contraste. Ce phénomène a une réelle importance et il peut amener de sérieuses erreurs. Combien de fois n'a-t-on pas vu un avocat peu scrupuleux arriver à modifier essentiellement le récit d'un témoin en ajoutant, aux détails dont celui-ci se souvient nettement, d'abord d'autres détails dont le souvenir est moins précis et même des circonstances qui sont entièrement de son cru. Et pourtant, de la meilleure foi du monde, le témoin en arrive à se persuader de la réalité et de l'exactitude de son récit ainsi modifié.

Dans la vie journalière, nous avons aussi de nombreux éléments de contraste. L'opinion générale y occupe une place prépondérante. Chaque jour, à notre insu, nous modifions nos souvenirs pour nous accorder davantage avec l'opinion généralement répandue, et nous finissons par faire disparaître à peu près complètement les différences entre nos propres souvenirs à ceux des autres. Si plusieurs témoins d'un même événement pouvaient comparer de temps en temps leurs souvenirs et les confronter, ils arriveraient très vite à donner des récits absolument identiques. L'expérience du professeur Baldwin est, sur ce point encore, parfaitement conforme à l'observation psychologique.

La troisième courbe représente la méthode d'identification, dans laquelle le sujet choisit certains objets comme ceux qui lui ont été précédemment présentés. C'est là que la mémoire se manifeste avec le plus d'exactitude et de précision et la chose est parfaitement naturelle; car, là, il n'y a ni reproduction, ni contraste. La puissance mnémonique y est seule en jeu.

Mais on ne saurait négliger la différence sensible qui sépare les résultats d'un sujet isolé de ceux d'une masse de sujets. En effet, avec un ou deux essais, un sujet isolé peut deviner juste sans pourtant se souvenir aucunement. Avec un plus grand nombre, les résultats se corrigent les uns par les autres et les moyennes sont de beaucoup plus exactes. Dans l'expérience faite avec les carrés, l'erreur capitale fut la même pour tous ou presque tous les sujets. Ceux-ci choisirent, en effet, un carré plus grand que celui qui leur avait été montré primitivement. La raison de cette anomalie est que, d'une façon ou d'une autre, leur mémoire avait agrandi l'objet dans l'intervalle entre les deux visions. Elle peut résulter d'un procédé purement mental, l'image du carré devenant un peu plus grande chaque fois qu'on y pense ou qu'on essaie de la reconstituer par le souvenir; ou encore peut-on l'attribuer à une sorte de gonflement cérébral, qui s'accentue chaque fois que l'image mentale est représentée au cerveau. Sans doute, c'est là qu'il faut chercher le motif d'un phénomène que tout le monde a pu constater. Quand nous revoyons après une longue absence la maison où nous avons été élevés, le jardin, etc., tout cela nous semble beaucoup plus petit que nous ne l'imaginions. Cela n'est autre chose que l'effet d'une illusion grossissante de la mémoire.

Le souvenir d'une sensation de température, également étudié par le professeur Baldwin à Princeton, n'a pas donné de moins curieux résultats. Depuis quelque temps, on soupçonnait que nous possédons un sens distinct, avec un appareil nerveux particulier, pour ressentir les différentes températures auxquelles la peau est soumise. Les expériences de Princeton ont démontré la réalité de cette théorie; elles ont même semblé établir en outre que, dans certains endroits de nos mains, par exemple, nous pouvons ressentir la chaleur et non le froid, tandis que, dans certains autres, nous ressentirons le froid et non la chaleur. Le professeur Baldwin a réussi à trouver certains points tels que, touchés avec un objet froid, ils ne perçoivent pas cette sensation; et aussi d'autres points qui n'éprouvent aucun contact quand on les touche avec un objet chaud. D'où il semble résulter que nous avons deux sens distincts de la température, l'un pour le chaud, l'autre pour le froid et que la célèbre fable de La Fontaine ne croyait pas si bien dire.


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