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Du principe de la relativité - Partie 4

L'année philosophique

En 1898, par Renouvier C.

Le principe de relativité résout la « question de la substance », dans les termes où elle se présente aux philosophes qui ne tiennent à l'idée ou image du substratum des phénomènes que comme avantageuse pour confirmer la conscience de l'identité personnelle, et accompagner la représentation de la réalité des choses externes, que l'absence de noyau matériel constant semble livrer à la dissolution. Le phénoménisme que nous professons n'est pas cette dissociation des idées, favorable à l'absolutisme au fond, qui ne voit dans les phénomènes que l'instable et le transitoire, ou même l'illusoire, le contraire du réel. Le phénoménisme organisé serait plus justement nommé un nomisme, doctrine des lois du cosmos. Il ne sépare pas les phénomènes d'avec les relations de tout ordre de généralité par lesquelles ils sont coordonnés, et dont nos impressions conscientes, nos perceptions et nos jugements reçoivent leurs formes. Le principe de relativité lui convient donc essentiellement le néocriticisme en réclame l'application à la connaissance, à la définition des êtres de toute nature, il ne les regarde comme définissables qu'en tant que synthèses et fonctions déterminées de phénomènes.

Selon cette méthode, une substance étant le terme clair, s'il est simplement symbolique, à l'aide duquel ces synthèses peuvent être représentées pour l'imagination, ce terme pourrait trouver grâce devant le phénoménisme, et s'employer sans inconvénient, d'autant mieux que le pluriel du nom, les substances, est d'un usage commun pour désigner des corps qui n'ont rien d'abstrait; tandis que prêter au nom singulier, avec la signification de support, le sens réaliste, c'est admettre l'existence de quelque chose de vide en soi, et à quoi néanmoins on ne saurait donner un sens qu'en lui supposant un contenu: illusion manifeste. Cette chose n'étant elle-même définie par aucune relation interne est un pur mot; à moins qu'on ne lui fasse exprimer une sorte d'inconditionné individuel qui serait alors analogue à l'inconditionné universel, ou à la substance de laquelle on a coutume de tirer des propriétés qu'on appelle ses manifestations.

On devinerait aisément, si on ne le savait d'ailleurs par l'histoire de la philosophie, que l'idée métaphysique de substance, a été premièrement l'idée universelle, mais concrète, de matière. En s'appliquant aux âmes, elle a gardé très ordinairement pour l'imagination, une forme matérielle. Ce n'est que très tard qu'elle s'est raffinée jusqu'à devenir un concept illusoire.

Le principe de relativité bannit cette entité, matérialiste ou spiritualiste et abstraite qu'en soit la notion, selon les écoles, et substitue à la méthode réaliste la méthode scientifique de détermination des lois, qui sont les vraies formes et aussi les vraies garanties d'ordre et de stabilité des phénomènes. C'est le moyen d'embrasser le réalisme réel, celui des substances et du point de vue le plus naturel de l'esprit sur les substances, êtres composés, synthèses et fonctions de phénomènes. Les qualités perçues, les propriétés des substances, ne sont plus, en cette théorie, les causes inconnues des sensations que les corps éveillent en nous, comme les philosophes et les physiciens les ont souvent nommées depuis l'abandon des espèces sensibles et les plus générales de ces propriétés ne sont pas des qualités primaires, des attributs de ces substances, dont la réalité serait saisie par une merveilleuse identification du sentant avec le senti. Les qualités sont, dans le sujet perçu, objectivé, les modes d'être et d'action qui appartiennent à sa nature interne, et qui y demeurent elles sont, dans le sujet percevant, objectivant, des modes constants d'une correspondance donnée, en vertu des lois de la nature et de l'esprit, entre les actes et les états ainsi mutuellement déterminés des différents êtres en rapport les uns avec les autres. Cette loi universelle peut s'énoncer: une harmonie préétablie entre les modifications internes des êtres sensibles et les modifications des êtres qui leur sont représentés extérieurement en relation avec eux. Telle est, touchant la perception, la loi rationnelle de la causalité, impénétrable à l'esprit par toute autre voie, comme l'analyse psychologique l'a depuis longtemps et pertinemment démontré.

Il est remarquable que le grand auteur de la doctrine de cette harmonie préétablie des monades qu'on peut appeler la forme universelle de la loi de la relativité causale, ait, par sa conception, banni du premier principe de toute spéculation, et de la définition du fondement de l'univers intelligible, la métaphysique absolutiste, au moins en ce sens d'inconditionalisme qui devait déplorablement rentrer dans la philosophie par l'œuvre de Kant. C'est pourtant Leibniz qui, d'une autre part, s'est plus profondément enfoncé qu'aucun autre philosophe dans la métaphysique des infinis. Ces deux métaphysiques sont parfaitement séparables, quoique le principe de relativité les condamne également et pour la même raison au fond. La doctrine de Leibniz, et même celle de Spinoza, qui l'a précédée, et au fondement de laquelle une définition célèbre, la définition de la substance, en son abstraction, semblait, à première vue, poser un absolu, ces deux doctrines présentent Dieu comme l'être constituant et embrassant l'universalité des rapports tant actuels que possibles. Les rapports vont à l'infini, il est vrai, et sont tous éternellement déterminés et indissolubles, mais enfin les phénomènes ne descendent pas d'un inconditionné; Dieu, dans son unité, se forme de l'ensemble infini des relations.


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