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Les faciès en neuropathologie - Partie 2

Revue encyclopédique

En 1893, par Levillain P.

Le faciès du goitre exophtalmique est plus intéressant encore, en ce qu'il permet souvent à lui seul de faire le diagnostic d'une maladie très importante et très pénible par la multiplicité de ses symptômes, en l'absence même du goitre, qui paraît en être le phénomène capital.

Figure 7: Personne présentant un goitre exophtalmique.L'exophtalmie (saillie des globes oculaires) est ici très frappante: les yeux proéminent violemment entre les paupières et menacent presque de sortir de l'orbite; ils prennent en outre un aspect brillant et une expression étrange qui donne au regard une fixité singulière et quelque chose d'égaré et de dur, pouvant aller jusqu'à la sauvagerie quand les malades sont sous le coup d'une émotion morale vive.

Cette exophtalmie est presque toujours double et symétrique. On l'a vue pourtant quelquefois n'exister que d'un seul côté; mais, en générale elle est suffisamment caractéristique pour appeler l'attention et faire découvrir toute la série de phénomènes qui appartiennent au goitre exophtalmique et dont les principaux sont la tachycardie, les palpitations, le tremblement, les crises diarrhéiques, l'hyperthermie, les parésies, etc.

On peut aussi dans cette affection rencontrer un autre faciès également très important à connaitre parce qu'il a, d'habitude, une gravité de signification qui n'appartient pas au goitre exophtalmique; c'est le faciès d'Hutchinson ou faciès de l'ophtalmoplégie externe. L'ophtalmoplégie externe n'est autre qu'un syndrome morbide caractérisé par la paralysie de tous les muscles extrinsèques des globes oculaires, les droits interne et externe, les petit et grand oblique et aussi le releveur de la paupière. Il en résulte une immobilité absolue du globe oculaire par paralysie des muscles qui le font mouvoir, compliquée le plus souvent d'un abaissement de la paupière supérieure. Aussi « ce qui frappe surtout dans ce faciès, c'est l'expression de ces yeux immobiles avec les paupières demi-tombantes, qui donne à la physionomie un caractère de tristesse et d'hébétude tout spécial » (Guinon et Parmentier). En outre, les malades essayent de remédier à la chute des paupières en contractant le muscle frontal, d'où il résulte une élévation des sourcils avec plissement du front ajoutant encore un trait à ce faciès déjà bien typique.

En général, l'ophtalmoplégie externe et son faciès relèvent de lésions graves du bulbe, et ne sont autres que le résultat de paralysies organiques des noyaux bulbaires; mais on peut aussi les observer à titre de manifestations purement névrosiques dans le goitre exophtalmique et dans l'hystérie, qui produit aussi un autre faciès dont le diagnostic est des plus importants. C'est le faciès de l'hémispasme glosso-labié: il s'agit là encore d'un symptôme très spécial consistant en une déviation spasmodique de tout un côté de la face, pouvant faire croire à une paralysie de l'autre côté. En effet, dans la paralysie faciale la tonicité musculaire conservée du côté sain fait dévier la face de ce côté, alors que le côté paralysé est flasque et immobile. Or, dans l'hémispasme, les traits sont tirés et les plis et sillons faciaux plus accusés, la bouche entrouverte et la commissure abaissée du côté spasmodique ; « il y a donc bien là quelque chose qui rappelle le point d'exclamation de la paralysie faciale » (Charcot).

Figure 8: Individu présentant un hémispasme glosso-labié.Mais, si l'on y regarde de près, on voit d'abord qu'il y a une véritable exagération de la tonicité musculaire dans le côté dévié; en outre, il existe deux caractères typiques qui permettent de faire la différence entre le spasme hystérique et la paralysie organique: 1° du côté dévié, les muscles releveurs de l'aile du nez et de la lèvre supérieure ainsi que les zygomatiques sont animés de petites secousses spasmodiques tirant et entrouvrant de temps en temps la bouche de ce côté; 2° la pointe de la langue est déviée en crochet du côté de la déviation faciale, alors qu'elle devrait l'être de l'autre côté en cas de paralysie, et ce caractère de la langue tirée convulsivement hors de la bouche est décisif: cette forme en crochet est vraiment spéciale à l'hystérie. D'autre part, si l'on observe le masque facial du côté sain, qui en raison du contraste pourrait être pris pour un côté paralysé, on s'apercevra qu'il n'est pas absolument immobile, que les rides ne sont pas complètement effacées, que la bouche est tirée, mais sans être ouverte ni flasque, que les paupières peuvent se plisser par l'action de la volonté, etc. En somme, grâce à ces caractères « on peut distinguer l'hémiplégie faciale de l'hémispasme facial hystérique, et éviter ainsi de commettre une erreur grave en rattachant à une lésion organique des accidents qui dépendent d'un trouble dynamique curable ».

C'est qu'en effet l'hémispasme glosso-labié guérit, si accusé qu'il soit, ainsi qu'en témoigne cette série de curieuses photographies (fig. 9, 10, 11): il s'agit là d'une jeune Russe de quatorze ans subitement « prise, sans cause connue, d'un spasme tonique de l'orbiculaire des paupières de l’œil droit, qui augmenta peu à peu d'intensité et gagna presque tous les muscles de la face et du cou » (G. de La Tourelle).Figure 9, 10, 11: Jeune femme ayant souffert d'un hémispasme facial hystérique.

Or, ce spasme disparaissait sous l'influence de la pression exercée sur l’œil et de l'occlusion des paupières de ce côté: « l'aspect de la physionomie était normal quand la malade portait un bandeau maintenant sur l’œil droit un petit coussin compresseur; mais la compression de l’œil pratiquée par une autre personne que la malade n'amenait pas la cessation du spasme; il fallait que la jeune fille mît elle-même son bandeau pour que tout rentrât dans l'ordre; sitôt qu'elle l'enlevait on voyait réapparaître le spasme, qui lui défigurait le visage d'une manière horrible. »

Cette malade fut guérie en deux mois et retrouva sa physionomie d'autrefois, ainsi qu'en témoigne la dernière de ces trois figures.

L'horrible expression grimaçante que produit l'hémispasme facial de l'hystérie n'avait pas échappé à l'observation des anciens: c'est bien elle, en effet, avec tous ses caractères qu'on trouve reproduite dans divers spécimens de l'art antique (masque en terre cuite de la collection Campana au Musée du Louvre, mascaron du Pont-Neuf au Musée de Cluny), spécimens qui illustrent les intéressantes recherches entreprises par MM. Charcot et P. Richer sous le titre: Les Malades dans l'Art.

Figure 12: Mascaron grotesque de l'église Santa-Maria Formosa, à Venise.Ce type grimaçant est particulièrement caractéristique dans le spécimen (fig. 12) emprunté aux mêmes auteurs, et qui représente un mascaron grotesque de l'église Santa-Maria Formosa, à Venise. « Une tête énorme, inhumaine et monstrueuse, ricanante, d'une expression qui la ravale au niveau de la brute, trop abjecte pour être représentée ou décrite, dit John Huskin dans Les Pierres de Venise, et qu'on ne saurait contempler au delà de quelques instants. »

Quel que soit le mérite artistique de ce morceau de sculpture, « l'artiste de Santa-Maria Formosa, en quête d'un type grotesque, nous paraît l'avoir rencontré sur son chemin, vu de ses yeux, saisi au passage et reproduit avec une fidélité qui nous permet aujourd'hui d'y reconnaître les marques d'une déformation pathologique, d'une affection nerveuse nettement définie, qui n'est autre que l'hémispasme facial des hystériques. Avec des traits d'une laideur moindre, nous retrouvons chez nos malades atteints de cet hémispasme glosso-labié une déformation en tous points semblable à celle du mascaron de Santa-Maria Formosa, et il nous semble impossible d'attribuer au hasard seul des similitudes aussi précises. Non seulement l'artiste vénitien ne s'est pas abandonné aux caprices de son imagination, mais il a en quelque sorte rompu avec les traditions du grotesque pour imprimer à son oeuvre ce caractère de réalité saisissante » (Charcot et Richer.) Cet artiste a fait du naturalisme, du « zolisme » dans l'art sculptural, sans aucune prétention d'école.

Figure 13: Individu souffrant d'une hémiatrophie faciale.Ce faciès unilatéral n'est pas à confondre avec cet autre qui offre également une déviation avec déformation très marquée d'un côté de la face. C'est ici l'hémiatrophie faciale, affection assez rare, qui consiste dans une atrophie progressive et totale de tout un côté de la face intéressant la peau, le tissu cellulaire, les muscles et les os eux-mêmes; le masque physionomique se couvre alors de rides et de sillons qui le défigurent singulièrement; cette atrophie est d'ailleurs exactement limitée à la ligne médiane qui sépare le visage en deux moitiés très distinctes. Toutefois il s'agit là d'une lésion organique qui ne comporte pas de gravité pour la vie, mais parait totalement incurable, ce qui n'est pas le cas des manifestations névrosiques de l'hystérie.

Figure 14: Personne prise de bâillements hystériques.Nous terminons cette revue des principaux faciès en reproduisant ce curieux cliché du faciès des bâillements hystériques, dont le diagnostic ne saurait être hésitant. Ces bâillements, qui peuvent constituer l'unique symptôme de l'hystérie, se produisent sans trêve pendant toute la journée au nombre de dix à douze par minute, soit plus de six cents à l'heure, près de deux mille par jour: ils s'interrompent pendant le sommeil. Ce ne sont d'ailleurs point des bâillements ordinaires: ils présentent une véritable exagération dans leur intensité et leur durée, qui a permis d'en prendre la photographie aux divers temps par des procédés qui n'ont rien d'instantané. Ils peuvent exister ainsi à l'état continu ou se produire sous forme de crises, d'accès; ils constituent un véritable état pathologique pouvant durer des semaines et des mois. On les observe quelquefois aussi dans l'épilepsie et certaines psychoses dépressives (Féré), mais il y a là d'autres éléments de diagnostic qui permettent de les différencier.


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