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Les faciès en neuropathologie - Partie 1

Revue encyclopédique

En 1893, par Levillain P.

Il existe en médecine une série d'affections qui déterminent des modifications de l'habitus extérieur tellement nettes et précises qu'elles permettent de faire le diagnostic de ces affections à distance. Ces modifications se produisent, soit à la face, soit dans le tronc ou dans les membres: tantôt ce sont des déformations matérielles, permanentes, et tantôt des modifications d'expression, d'attitude, de démarche, qui peuvent être permanentes ou ne se produire qu'à l'occasion de certains mouvements. Parmi les plus fréquentes, on peut citer les modifications de la face dans l'acromégalie, le myxœdème, la sclérodermie, le goitre exophtalmique, l'hémiplégie faciale, l'hémispasme glosso-labié, etc., les modifications de l'altitude dans la sciatique, certaines variétés de myopathie, et celles de la démarche dans l'ataxie, la paralysie agitante, les paralysies spasmodiques, etc. Ces phénomènes extérieurs sont tellement saillants et typiques que, comme le dit M. Charcot, qui a surtout appelé l'attention sur ces faits intéressants, lorsque sur les promenades publiques, dans les rues, dans les gares, on aperçoit un de ces malades à faciès ou à démarche spéciale on ne peut s'empêcher de faire son diagnostic, d'avoir, en quelque sorte, sous les yeux l'étiquette de son affection; c'est presque une obsession pour le médecin habitué à cet exercice que ce diagnostic extemporané, immédiat, diagnostic de coup d’œil, augenblick diagnose, comme disent les Allemands, et qu'on peut appeler généralement diagnostic d'impression; car il n'y a pas que les yeux qui puissent être utilisés pour ces diagnostics: l'oreille permet souvent aussi d'en établir quelques-uns avec autant de sûreté. C'est ainsi qu'il suffit d'entendre parler un malade atteint de sclérose en plaques et un autre de paralysie générale pour savoir reconnaître l'existence de ces deux maladies, si différentes par leur évolution et la gravité de leur pronostic.

Nous étudierons seulement, aujourd'hui, certains faciès bien caractéristiques qui permettent, à simple vue, de faire, même en tramway, le diagnostic de l'affection à laquelle ils correspondent. C'est, en effet, ce qui est arrivé à M. Londe, l'habile directeur du service photographique de la Salpêtrière auquel nous devons les clichés photographiques qui accompagnent cette étude. C'est en tramway qu'il a reconnu ce faciès d'acromégalie, bien qu'il ne soit pas aussi typique qu'il est fréquent.Figure 1: Profil d'un individu atteint d'acromégalie.Acromégalie

Le mot définit la chose: l'acromégalie (gr. akros, extrémité; megalos, grand, volumineux) est une maladie dans laquelle les extrémités subissent un trouble trophique déterminant une exagération énorme de leur volume; c'est une hypertrophie massive des extrémités (tête, mains et pieds) non congénitale et portant sur tous les tissus et tous les diamètres.

La face est allongée, le menton gros, massif et saillant, par suite de l'hypertrophie du maxillaire inférieur, toujours plus accusée que celle du maxillaire supérieur; le nez subit un accroissement exagéré de toutes ses parties; il est gros et camard, et les narines épaisses; les lèvres, l'inférieure surtout, sont lippues et pendantes; les arcades orbitaires sont proéminentes et couronnées de sourcils touffus et broussailleux; les oreilles aussi sont volumineuses et leurs cartilages épaissis et résistants; en somme, il se produit une hypertrophie générale de toute la face, à laquelle le crâne participe lui-même, présentant des crêtes osseuses au niveau de ses sutures et de ses apophyses.

Figure 2: Profil d'une religieuse atteinte d'acromégalie.En voici, du reste, un échantillon remarquable, que nous empruntons à la Revue de Médecine, 1891 (cas de MM. Spillmann et Haushalter):

C'est une religieuse de cinquante-deux ans, chez laquelle la maladie a débuté à quarante ans à la suite de la suppression des règles; elle a évolué lentement, mais progressivement jusqu'à l'état actuel.

« Elle est petite, massive, ramassée sur elle-même et offre le type bien précis de laideur acromégalique; longue face, maxillaire inférieur volumineux, grosses lèvres, nez épais, dos voûté, tête dans les épaules et penchée en avant, pieds et mains énormes, abdomen proéminent. »

« La peau de la face est épaisse, d'un gris sale, criblée de glandes sébacées saillantes; les traits sont fortement accentués le nez long et gros, le maxillaire inférieur très développé, les lèvres énormes et saillantes, les yeux enfoncés dans les arcades sourcilières proéminentes, etc. »

En outre, « les mains et les pieds de la malade frappent immédiatement par leurs dimensions; depuis plusieurs années elle est obligée de chausser des souliers d'homme et elle ne trouve pas de gants à sa pointure. »

Figue 3: Main de myxœdémateux. Les doigts sont volumineux.Les mains et les pieds des acromégaliques n'ont certes pas le gigantisme de l'éléphantiasis et surtout ne sont pas déformés de la même manière, car tous les tissus participent à l'hypertrophie; les doigts sont volumineux, mais distincts; ce sont des mains et des pieds de géant dont la conformation générale est conservée, mais dont le volume disproportionné contraste avec le volume des autres parties du corps et surtout avec l'impuissance musculaire du sujet.

Ces malades sont, en effet, atteints le plus souvent d'affaiblissement général, de dépression physique et mentale, de découragement profond qui va chez quelques-uns jusqu'à l'idée de suicide et les rend inaptes à tout travail professionnel; en outre, et en même temps, ils sont atteints de maux de tête très pénibles, d'affaiblissement de la vue, et tourmentés par des sensations de soif et de faim exagérées qui les conduisent à la dilatation de l'estomac.

C'est d'ailleurs une affection qui semble peu commune; elle débute ordinairement entre vingt-cinq et quarante ans, d'une manière, insidieuse, et peut longtemps passer inaperçue. Sa longue durée, de quinze à trente années, peut la faire considérer comme bénigne et pourtant elle finit par immobiliser les malades en les rendant de plus en plus impuissants et inactifs; l'intelligence reste parfois intacte, mais la mort n'en survient pas moins par épuisement cachectique.

Figue 4: Personne atteinte de myxœdème.Le faciès du myxœdème (du gr. muxa, mucus; oidéma, gonflement — maladie que nous avons décrite ailleurs), bien que présentant des analogies avec le précédent, s'en distingue facilement en ce qu'il s'agit ici d'un simple épaississement des parties molles sans participation des os, et, par suite, sans proéminence exagérée des saillies du visage.

C'est une bouffissure générale de la face, donnant lieu à un aspect de « pleine lune » vraiment caractéristique. Les paupières sont gonflées au point qu'elles recouvrent l’œil presque entièrement; le nez est également hypertrophié et les orifices des fosses nasales obstrués; les lèvres sont épaissies et pendantes. Mais cet empâtement général et uniforme de la peau du visage, loin de mettre en relief les saillies osseuses qui, elles, ne s'hypertrophient pas, en détermine plutôt l'effacement; d'où le contraste avec le faciès volumineux de l'acromégalique, dont les énormes tubérosités sourcilières, nasales et mentonnières, sont si évidentes.

Les mains du myxœdème sont également tuméfiées et volumineuses; mais c'est toujours de l'empâtement simple des tissus mous: les os conservent leur forme et leur volume normal, et sont en quelque sorte étouffés et enfouis dans cette bouffissure de la peau.

En opposition avec ces faciès épais et massifs on peut mettre les faciès amincis et desséchés de la sclérodermie et du géromorphisme.

Figue 5: Personne atteinte de sclérodermie.Dans la sclérodermie (du gr. skléros, dur; dermo, peau) la peau se racornit, s'amincit, devient sèche, tendue, luisante, et comme parcheminée. Or, cette altération de la peau produit à la face un masque caractéristique. On remarque tout d'abord que la physionomie est sans expression: elle est en quelque sorte « négative » (Duchenne). On croirait, à voir cette figure inerte, ce masque immobile et indifférent, que les impressions ne vont pas jusqu'au cerveau et que l'intelligence y est éteinte.

La face offre un aspect général luisant et tendu; il semble que la peau, trop étroite, tend à effacer tout relief: les portions de muqueuse visibles à l'état sain se sont rétractées et des plis se forment autour des orifices naturels.

Le front est luisant et bas; car le cuir chevelu, attiré par la rétraction, s'est abaissé et rapproché des sourcils; toute espèce de pli ou de ride s'y est effacé et il a vraiment l'aspect de l'ivoire.

Les yeux sont hagards, grands ouverts au point de paraître saillants comme dans le goitre exophtalmique; c'est que les paupières sont, écartées par le retrait de la peau et laissent apercevoir plus de sclérotique. Le nez est aminci, aplati, et sa forme générale très altérée; il a l'air pincé, rétracté, effilé, et sa crête paraît plus sèche et plus tranchante. La bouche s'est aussi rapetissée, car les lèvres sont tiraillées en tous sens par la rétraction; dans beaucoup de cas elles restent entrouvertes, laissant constamment les dents à découvert.

Enfin, la peau, adhérente aux parties sous-jacentes, comprimant les muscles mimiques de la face, empêche ainsi toute expression et immobilise les traits sous un masque desséché et le plus souvent disgracieux.

Figue 6: Personne atteinte de géromorphisme.Le géromorphisme (du gr. geras, vieillesse; morphé, forme) est un état pathologique spécial de la peau, vraisemblablement une trophonévrose, donnant à la physionomie le masque de la vieillesse, en dehors de toute espèce d'autres conditions de la sénilité.

C'est ainsi que ce portrait est « d'une jeune fille de vingt et un ans, qui en dehors de son apparence sénile ne présente aucun des autres attributs de la vieillesse. Mais cette apparence sénile est tellement frappante, qu'en la voyant à la consultation avec son père l'un de nous a demandé à celui-ci si ce n'était point sa mère » (Jonques et Charcot).

Le faciès ridé et desséché existe chez cette malade depuis l'âge de onze ans, époque à laquelle il fut observé pour la première fois par le Dr. Lailler, qui le décrivit ainsi: « C'est à la face que cet aspect est le plus marqué; la peau de la région est lisse, flasque, pendante, comme chez un vieillard; les traits sont effacés, aplatis et rappellent la paralysie faciale. Les lèvres sont distendues, l'orifice buccal abaissé; il y a comme un allongement de toute la figure. A la lèvre inférieure, au pourtour de la bouche existent des plis en patte d'oie, exagérés par chaque mouvement de physionomie. Sous le menton, pli cutané, flasque et ridé, et plissements de la face antérieure du cou comme chez les gens d'un âge plus avancé; en somme, véritable masque de vieillard sur le corps d'une enfant ».

On retrouve ces mêmes altérations, ce même aspect flasque et desséché de la peau sur diverses autres régions du corps; mais, encore une fois, « il ne s'agit pas ici de sénilité même précoce au sens strict du mot; en effet, la peau seule est altérée, les divers viscères, les divers appareils et les autres tissus sont d'une femme de vingt ans ».


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