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Sommeil et somnambulisme - Partie 2

Causeries scientifiques : découvertes et inventions, progrès de la science et de l'industrie

En 1866, par Parville H.

Au point de vue médico-légal, ces exemples laissent le juge dans une anxieuse perplexité. La difficulté devient plus grande encore dans le cas du somnambulisme.

Un homme de Louhans couche dans un hôtel; il se lève vers le milieu de la nuit et crie: au voleur! Quelqu'un ouvre la porte et lui demande ce qu'il a:

— Ah! c'est toi, coquin répond-il, et il lui tire un coup de pistolet... Il fut acquitté. Il fut prouvé qu'il était somnambule.

On tend, en effet, à considérer le somnambule comme étant en possession d'une volonté trop incertaine pour que la pénalité lui soit appliquée: Dormiens furioso aequiparetur. Sur quelle base ferait-on raisonnablement reposer la criminalité?

Voici un dernier exemple contrôlé et relaté dans plusieurs ouvrages et qui montre très bien s'il serait juste de rendre généralement responsable un somnambule.

Dom Duhojet était d'une très bonne famille de Gascogne et avait servi avec distinction. Il avait été vingt ans capitaine d'infanterie. Il était chevalier de Saint-Louis et jouissait d'une réputation excellente. Il raconta que, dans un monastère dont il était devenu le prieur, il avait un religieux d'une humeur mélancolique, d'un caractère sombre et qui était somnambule. Dans ses accès, il sortait quelquefois de sa cellule et y rentrait seul; souvent il s'égarait et il fallait l'y reconduire.

Un soir, dit le prieur, j'étais resté à travailler fort tard et j'étais encore à mon bureau, quand la clef que j'avais l'habitude de laisser à la porte tourna dans la serrure; je vis entrer ce religieux. Il avait les yeux ouverts, mais fixes! il n'était vêtu que de la tunique avec laquelle il avait dû se coucher; à la main il tenait un grand couteau.

Il s'avança à pas lents vers moi, la figure contractée, les yeux froncés; il me dépassa et marcha droit au lit.

Il vérifia, en tâtant avec la main, si je m'y trouvais effectivement; puis, repressant son couteau, il le plongea à travers les draps trois fois de suite avec une extrême violence. Les draps, les couvertures et la natte furent percés d'outre en outre. Évidemment j'étais assassiné.

Le crime accompli, le somnambule se retourna; son visage était détendu et respirait la satisfaction. L'éclat de deux lampes qui étaient sur le bureau ne fit aucune impression sur ses yeux. Il s'en alla lentement et discrètement comme il était venu.

On n'assiste pas à un semblable spectacle sans émotion; je ne pus fermer l’œil de la nuit. Le lendemain je fis venir le somnambule et je lui demandai sans affectation à quoi il avait rêvé pendant son sommeil. A cette question il se troubla:

— Mon père, répondit-il, j'ai fait un rêve si étrange que j'ai véritablement quelque peine à vous le raconter; c'est peut-être l'oeuvre du démon et...

— Je vous l'ordonne, répliquai-je; un rêve est involontaire; c'est une illusion, parlez avec sincérité!

— Mon père, dit-il alors, à peine étais-je couché que j'ai rêvé que vous aviez tué ma mère; son ombre sanglante m'était apparue pour demander vengeance. Transporté de fureur, j'ai couru à votre cellule; je vous ai trouvé dans votre lit, je vous y ai poignardé. Peu après, je me suis réveillé tout en sueur en détestant mon attentat, et j'ai béni Dieu qu'un si grand crime n'ait pas été commis.

— Il a été commis plus que vous ne le croyez, lui dis-je d'un air sérieux et tranquille.

Il me regarda, surpris. Alors je lui racontai ce qui s'était passé, et je lui fis voir la trace des coups qu'il avait cru m'adresser. A cette vue, il se jeta à mes pieds tout en larmes, gémissant du malheur involontaire qui était arrivé, et implorant telle pénitence que je jugerais convenable.

— Non, non, m'écriai-je, vous ne devez pas être puni pour un fait involontaire; mais désormais je vous dispense d'assister aux offices de nuit, et je vous préviens que votre cellule sera fermée en dehors après le repas du soir, et ne s'ouvrira que pour vous permettre d'assister la messe du matin.

Il nous semble, en effet, qu'il eût été difficile de faire retomber sur ce religieux la responsabilité de son action.

Comme le dit très bien M. le docteur Legrand du Saulle, les manifestations du somnambulisme sont autant de difficultés pour le juge. Mais c'est au médecin légiste à les lever en démasquant le mensonge et la ruse, et en appréciant avec sagacité les caractères distinctifs de ce singulier état psycho-pathologique.


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