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L'évolution de la pudeur - Partie 1

L'humanité nouvelle : revue internationale : science, lettres et arts

En 1899, par Havelock Ellis H.

La pudeur est un sentiment que l'on peut définir d'une façon provisoire, comme étant, pour ainsi dire, une peur instinctive poussant à cacher les parties sexuelles. Bien que commun aux deux sexes il est plus particulièrement féminin, de sorte qu'il peut être considéré comme le caractère secondaire principal de la femme au point de vue psychologique. La femme qui manque de cette espèce de crainte, manque aussi d'attraction sexuelle pour la plupart des hommes. Les exceptions apparentes que l'on peut rencontrer, ne font que prouver la règle, car on trouvera généralement que les femmes qui ne sont pas impudiques (il faut remarquer ici que l'impudicité est plus intimement en rapport avec la pudeur, qu'avec une absence absolue de ce sentiment), mais qui n'ont pas cette peur qui implique l'existence d'une émotion compliquée dans l'organisme féminin à défendre, font une impression sexuelle sérieuse, seulement sur les hommes qui sont eux-mêmes privés de qualités complémentaires du même genre.

Avant de traiter de la psychologie sexuelle, il est nécessaire d'arriver à l'obtention d'une appréciation bien claire de ce qu'est la pudeur comme caractère sexuel secondaire de premier rang.

La signification d'une enquête de ce genre devient plus grande quand on réfléchit qu'aux réticences de la modestie sexuelle, dans leur progression, expansion, complication, etc., est dû, en grande partie, le rôle prépondérant que l'instinct sexuel a joué dans le développement de toute culture humaine.

Quoique le sujet qui m'occupe soit intéressant au premier chef, cependant, il m'a été impossible de trouver un ouvrage psychologique le traitant d'une façon compréhensible.

Bien que des suggestions et des faits importants se rapportant aux émotions sexuelles, sur le dégoût, les origines du tatouage, l'ornement et l'habillement, aient été avancés par certains physiologistes, psychologues, ethnographes, etc., néanmoins, peu ou point de tentatives semblent avoir été faites pour établir un exposé synthétique de ces faits et suggestions. Il est vrai, cependant, qu'un certain nombre d'essais ont été faits pour se rendre compte de la constitution, de la base de cette émotion, mais ils sont tous de peu d'importance et n'ont rien établi. Herbert Spencer, suivi par Sergi et d'autres, considère que la pudeur est simplement la résultante de l'habillement. Cette vue peut être combattue par le fait, bien établi, que plusieurs races, qui vont absolument nues possèdent, à un haut degré l'idée de pudeur.

Ces écrivains n'ont pas prouvé que la pudeur physiologique est plus primitive en apparence et plus fondamentale que la pudeur anatomique. Une contribution partielle à l'analyse de la pudeur a été faite par le professeur James, qui, avec son talent si remarquable et sa lucidité habituelle, a établi certains de ses caractères, spécialement l'élément dû à l'application à nous-mêmes des jugements passés dans le principe sur notre compagne.

Westermarck, suivi de même par Grosse, a très bien, et d'une façon convaincante, établi certains facteurs sur l'origine de l'ornement et de l'habillement, que beaucoup d'auteurs s'imaginent couvrir tout le champ de ce qui a rapport à la pudeur sexuelle.

Plus récemment Ribot dans son ouvrage sur les émotions a vaguement souligné la plupart des facteurs de la pudeur, mais n'a pas développé une vue cohérente de leurs origines et de leur parenté.

Le sujet est compliqué par la difficulté d'exclure les émotions qui sont intimement alliées comme la honte, la modestie, la timidité, etc., qui, bien que définissables, touchent, cependant, de très près à la pudeur. Il n'est pourtant pas impossible d'isoler des autres la principale raison qui cause l'émotion de pudeur, ce n'est, après tout, que sa liaison spéciale avec le fait que le sujet a conscience de posséder un sexe et qu'il connaît l'emploi des parties sexuelles.

Je vais essayer, mais je crains de le faire imparfaitement, d'analyser la constitution et le développement du sujet qui m'occupe.

Il semble bien évident que la pudeur, comme toutes les émotions avec lesquelles elle a une étroite parenté, est basée sur la peur qui est une des plus primitives émotions ressenties.

L'association de la pudeur et de la peur est bien certainement connue depuis les temps anciens, c'est une observation fort ancienne: Ubi timor, ibi pudor, dit Epicarmus. C'est en vérité un amalgame de peurs, de craintes de différentes natures, spécialement, ainsi que j'espère le démontrer, de deux craintes distinctes et importantes dont une plus ancienne peut-être que l'origine de l'humanité, est fournie seulement par la femelle, l'autre, d'un caractère humain plus distinct, est d'une origine plutôt sociale que sexuelle. Un enfant laissé à lui-même, quoique très timide, est complètement privé de pudeur. Chacun est familier avec les inconvenances choquantes des enfants tant en paroles qu'en actions, et aussi avec les manières charmantes, il faut le dire, qu'ils ont, lorsque bien innocemment ils négligent les conventions de pudeur imposées par leurs aînés, ou même, lorsque anxieux de les exécuter ils manquent complètement l'effet cherché, c'est ainsi que parfois un enfant pense que de mettre un petit vêtement autour de son cou, tel qu'une cravate, un mouchoir, doit satisfaire la pudeur.

Dans les conditions de civilisation, la convention de pudeur précède de loin son développement réel. On peut franchement dire qu'elle prend place vers l'époque de puberté. On peut admettre avec Perez, un des rares écrivains qui ont écrit sur l'évolution de cette émotion, que la pudeur peut apparaître à un âge précoce, si le désir sexuel apparaît de bonne heure. Il ne serait cependant pas juste de dire que la pudeur est purement un phénomène sexuel. L'impulsion sociale se développe également à cette époque de la vie, et à cette coïncidence est due pour une grande part la nature si complexe de cette émotion.

Le facteur sexuel est le plus simple et le plus primitif élément de la pudeur et doit être mentionné le premier. Quiconque a observé une chienne alors qu'elle n'est pas en chaleur et qu'elle est accostée par un chien dont la queue remue galamment et dont l'expression générale indique le désir, a pu se rendre compte des débuts de la pudeur. Quand les attentions du chien deviennent un peu trop marquées, la chienne s'accroupit, cachant ainsi la partie postérieure de son individu, c'est-à-dire qu'elle assume, ce faisant, une attitude qui est à peu près équivalente à celle qui, dans la race humaine, est symbolisée par l'exemple classique de pudeur féminine de la Vénus de Médicis. Elle est représentée dans une attitude qui met en retraite le bassin, en même temps qu'elle met une main sur la partie génitale, comme pour la sauvegarder, avec l'autre main elle cache sa poitrine.

L'expression essentielle dans chaque cas est celle d'une intention de défendre le centre sexuel contre les avances non désirées du mâle. Ceci est tellement manifeste, quoique non généralement reconnu par ceux qui ont écrit sur le sujet, qu'il semble sans nécessité d'insister sur ce point. La pudeur sexuelle de l'animal femelle, sujette à la périodicité sexuelle, en d'autres mots, à des époques de chaleur, est une expression involontaire du fait organique que le temps pour l'amour n'est pas arrivé.

Cette remarque admise, pour autant qu'elle puisse valoir, est applicable à la plus grande partie des femelles d'animaux inférieurs à l'homme, l'expression de pudeur leur devient si habituelle qu'elle se présente, même quand il n'y a plus lieu qu'elle soit de saison. De nouveau, nous pouvons donner de la chose un exemple frappant par ce fait remarquable, que la chienne lorsqu'elle est en chaleur, recherche le mâle, court après lui, et de nouveau le fuit, ne se soumettant à un rapprochement que vaincue par les caresses, l'obstination et les moyens persuasifs employés par le mâle.

Ceci paraît établir que la pudeur est plus qu'un simple refus du mâle, ce serait plutôt une invitation, un moyen d'exaspérer ses désirs charnels et ses idées de ce qu'il y a de désirable dans la possession de la femelle.

Cette observation permet de considérer l'existence de la pudeur comme un caractère sexuel d'ordre secondaire au point de vue psychique.

Dans ce sens, mais dans ce sens seulement, nous pouvons dire avec Colin Scott que le sentiment de pudeur est fait pour être surmonté!

La pudeur sexuelle de la femelle est aussi une conséquence inévitable de l'attitude naturellement agressive du mâle dans les relations sexuelles et de l'attitude naturellement défensive de la femelle. Ceci se fonde encore sur le fait que dans l'espèce humaine et chez les animaux supérieurs, la fonction sexuelle de la femelle est périodique, ce qui fait que, pendant une partie de la vie, l'appareil génital féminin doit être gardé des approches du sexe opposé.

En ce qui concerne le mâle, ce n'est que rarement, ou même jamais qu'il a à se garder.

Ce facteur fondamental de la pudeur qui a sa source dans les faits naturels de la vie sexuelle des animaux supérieurs et spécialement en ce qui concerne l'espèce humaine, n'explique pas évidemment tous les phénomènes de la pudeur; il faut se rendre compte de l'influence des ornements et des vêtements, et rechercher en quoi consiste la pudeur en ce qui concerne le mâle.

Pour ces recherches nous devons, en grande partie au moins, tourner notre attention vers le facteur social qui est le principal élément primitif de la pudeur.


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