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L'individualité et les formes du mariage - Partie 2

Annales de l'Institut international de sociologie

En 1896, par Abrikossof N.

Le contraire n'est également pas rare. Une femme peut avoir été choisie par plusieurs hommes à la fois, ou bien c'est elle qui en a choisi plusieurs pour un temps plus ou moins long, tour à tour ou simultanément, et nous avons alors un exemple de polyandrie.

En un mot, on peut retrouver, dans la société contemporaine, la même variété de relations sexuelles qu'on observe chez les sauvages et dans les sociétés primitives. Le mariage par groupe peut même se rencontrer dans notre société actuelle, par exemple dans les fabriques et les usines où hommes et femmes travaillent et parfois dorment en commun.

Je doute qu'il soit possible de nier l'existence actuelle de l'une quelconque des anciennes formes de relations sexuelles, et cela malgré les lois de tel ou tel pays. Il est certainement impossible de dresser la statistique de toutes ces formes, car les relations sexuelles portent ordinairement un caractère tellement personnel qu'elles ne se plient à aucune sorte de calcul de statistique. Un fait certain, c'est que chacun doit reconnaître que les relations sexuelles les plus variées ont survécu jusqu'à notre époque. Cette variété dépend surtout des particularités propres à tel ou tel individu et c'est là un fait sur lequel ceux qui ont étudié l'histoire naturelle du mariage ont porté une trop faible attention. Le tempérament de l'individu joue ici le rôle prépondérant; et le tempérament, de même que toutes les manifestations psychiques de la personnalité, dépend beaucoup, comme on le sait, des particularités physiques, autrement dit anatomiques et physiologiques, de chaque individu. Mais, fait remarquer un psychologue, M. Paul Bourget, « quand il s'agit des lois qui régissent les relations des sexes, il faut toujours en revenir à la physiologie ». C'est là, en effet, qu'il faut chercher la cause des relations sexuelles et voilà pourquoi les tentatives faites pour démontrer que le mariage évolue sont demeurées, jusqu'à présent, stériles. A conditions égales : race, climat, situation économique, législation, religion, etc., toute forme de mariage naturel dépend des particularités individuelles de l'organisme.

Dans leurs recherches, les gynécologistes découvrent une infinie variété de structures anatomiques d'organes correspondants (pour eux il n'existe pas d'organes construits de la même façon, d'organes absolument identiques) et, au point de vue sexuel, toute particularité de structure peut être l'indice de tel ou tel penchant. Au dire des gynécologistes, ces indices anatomiques peuvent permettre de reconnaître le tempérament sexuel de la femme. D'un autre côté, ce n'est pas sans motif que les anthropologistes placent parmi leurs points de repère la mensuration des organes sexuels de l'homme.

Indépendamment de cette variété dans les particularités anatomiques et physiologiques de l'homme et de la femme pris séparément, l'un et l'autre peuvent être en possession de particularités mixtes, c'est-à-dire appartenant aux deux genres. Les recherches embryologiques montrent que « tous les animaux passent par une phase d'indétermination sexuelle, c'est-à-dire que l'on ne peut déterminer leur sexe qu'à un stade relativement avancé de l'ontogenèse ». Certains savants assimilent ce stade d'indétermination sexuelle à l'hermaphrodisme. Ces vestiges de la communauté de sexe peuvent se rencontrer chez des individus adultes et servir ainsi de base anatomique aux instincts sexuels mixtes, à l'apparition d'hommes-femmes et de femmes-soldats; peut-être expliquent-ils la cause de la polygamie et de la polyandrie.

La variété des rapports de l'homme et de la femme dans le mariage naturel, les rôles divers qu'ils y jouent, tout cela dépend peut-être de ces mêmes particularités anatomiques et physiologiques de leur développement sexuel. Voilà pourquoi les exigences de l'instinct sexuel se satisfont d'une façon si diverse malgré toutes les lois possibles; voilà pourquoi tous les efforts de la société pour réglementer les rapports sexuels demeurent si souvent sans succès.

« Sans doute, l'idéal est une belle chose, fait remarquer M. Letourneau (Evolution du mariage, ch. X), mais il y a folie à lui sacrifier le réel et à légiférer sans tenir compte des exigences de la nature humaine ».

On peut dire en général que l'état ou le développement d'un organe influent sur toute la vie psychique de l'individu. Des muscles solides portent à l'activité, un estomac sain au plaisir de la table, des organes sexuels spécialement constitués aux aventures et aux plaisirs de l'amour, etc. Les relations sexuelles seront donc aussi variées que le sont les hommes par la conformation de leurs organes génitaux. Le mariage légal, en tant qu'institution créée par l'Etat, l'Eglise ou la société, est basé sur des intérêts sociaux, ou plutôt moraux, afin de combattre cette diversité qui, somme toute, dépend de causes organiques purement physiques. Comment se satisfait l'instinct sexuel, — c'est là une question ; dans quelles formes la société, l'Eglise et l'Etat s'efforcent-ils de le faire entrer et comment y réussissent-ils, — c'est là une autre question.

Si, au dire de M. Westermarck (ibid., p. 319), « l'instinct rend psychiquement impossible l'amour sexuel entre proches parents », pourquoi ne pas admettre que ce même instinct rend également impossible, dans certains cas, la monogamie, la polyandrie ou la polygamie, quelles que soient les lois d'un pays et les prescriptions de l'opinion publique concernant le mariage!

De ce fait, que la satisfaction de l'instinct sexuel se trouve dans une pareille dépendance des particularités psycho-physiologiques de chaque individu, découle, à mon avis, la cause de l'insuccès des tentatives faites pour édifier une théorie de l'évolution du mariage. Les documents recueillis ne peuvent que prouver la force et la persistance de l'instinct. Devant nos yeux se poursuit une lutte plusieurs fois séculaire entre les prescriptions sociales et les exigences sourdes, occultes et toute puissantes de l'instinct. Sous une évolution apparente du mariage se dissimule presque cet instinct sexuel qui se manifeste si diversement. Sous ce rapport les tendances de la société et celles de l'individu sont rarement d'accord, et comme le monde se maintient par la faim et par l'amour, ces deux puissants instincts sont, pour la plupart du temps, en lutte implacable avec les instincts sociaux non moins puissants. Ce sont tantôt les uns, tantôt les autres qui prennent le dessus, et, jusqu'à présent, on ne peut prévoir le moment où cette lutte si complexe prendra fin.

Cette courte notice peut donner lieu à de nombreux malentendus. La question est trop étendue pour que l'on puisse en éclairer toutes les faces en quelques instants. Si je ne me suis arrêté qu'à un seul de ses côtés, il ne faudrait pas en conclure que j'appartiens à la catégorie des simplistes; je ne suis pas, en effet, de ceux qui pensent naïvement qu'on peut résoudre les questions les plus compliquées d'une manière toute simple. Mon but n'a été que d'insister sur un des côtés de la question qui, à mon avis, a trop peu attiré l'attention, et cela ne n'empêche pas de reconnaître l'importance de l'étude des autres faces du sujet. Enfin, dans l'individualité physiologique, je ne vois que les profondes racines de l'individualité psychologique compliquée qui doit son développement aux conditions variées du milieu physique et social ambiant. Cette « organisation psychique » a une importance encore plus décisive en ce qui concerne les diverses formes du mariage, mais sa variété infinie la rend encore moins accessible à l'étude.


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