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La nouvelle éthique sociale dans l'éducation - Partie 2

L'humanité nouvelle : revue internationale : science, lettres et arts

En 1898, par Hudry-Menos J.

Tout organisme vivant tendant par nature à se conserver et à s'accroître, va vers son bien-être, puisque ce qui arrête l'expansion de la vie produit une souffrance dont la prolongation amène la mort, la destruction de la vie en sa forme temporaire ; aussi chez l'homme le bien s'identifie-t-il avec ce qui lui est agréable, le mal avec ce qui le gêne ou le fait souffrir. Voyez l'enfant. Mais cette impulsion des unités, si elle ne rencontre aucun obstacle, détruit l'harmonie du tout social et nuit en dernier ressort au bien-être des unités elles-mêmes; alors intervient la morale collective, fruit de l'expérience individuelle, qui a reconnu que certaines limitations, douloureuses à un moment donné, créent par la suite une plus grande expansion, un plus grand bien-être général et particulier.

« La conduite morale, dit Herbert Spencer, exclut les actes qui n'offrent aucune fin déterminée ; mais un pareil choix forme lui-même le résultat d'une longue et patiente évolution. Les organismes inférieurs adaptent leurs actes à tel ou tel but d'une façon très imparfaite et cette imperfection précisément suscite et continue le phénomène de la lutte pour la vie. » — N'est-ce pas à un de ces degrés inférieurs que se trouvent encore nos sociétés, et le but de l'éducation ne doit-il pas être de les aider à sortir de cette infériorité pour les amener à un degré supérieur et les « guider vers un idéal d'adaptation, de cohésion qui fera disparaître entre individus de la même espèce d'abord, des différentes espèces ensuite tout vestige de contrariété et d'antagonisme » suivant l'expression de M. Tarde. Car ce n'est pas, dit-il, la lutte mais l'adaptation qui produit un progrès quelconque. — La violence le détermine, elle ne le crée pas.

Il est donc aisé de démontrer que la morale de la vie, comme l'appelle Guyau, est scientifique, parce qu'elle se précise, prend conscience d'elle-même dans le développement des connaissances humaines, lesquelles, sans le chercher, par l'apport de leurs observations, ont établi en notre siècle sa base réelle et prouvé que la vie en une expansion progressive cherche à s'adapter toujours mieux à un but déterminé.

La cause et le but de toute morale individuelle ou collective étant ainsi trouvés une unité s'affirme dans les formes infinies de la vie aussi bien physique que psychique. « Les lois suprêmes de cette morale, dit Guyau seront identiques aux lois les plus profondes de la vie et, dans quelques-uns de ses théorèmes les plus généraux, elle vaudra pour tous les êtres vivants. » Cette phrase d'un penseur, dont l’œuvre marque une étape décisive dans l'affranchissement de la morale, ouvre d'immenses horizons et l'on y voit luire, comme au bout d'une immense plaine, à la petite aube, l'étroite bande de lumière qui annonce l'aurore d'un jour où la morale individuelle et la morale collective, fraternellement unies, marcheront de front.

Cette morale scientifique est donc indépendante ; car elle échappe à toute autorité externe, religieuse ou métaphysique. Elle est relative ; car elle n'a rien d'absolu ; elle évolue avec des organismes sociaux et semble en même temps projeter devant eux comme le reflet de leurs aspirations vers un mieux qui dès qu'il est atteint cède la place à un idéal supérieur.

C'est au XIXe siècle que reviendra l'honneur d'avoir opéré l'affranchissement de la morale. Et comme la science et la morale sont antérieures au droit et à la loi, — car ce furent des faits, manifestations de la vie, qui frappèrent tout d'abord l'intelligence de l'homme à son premier éveil, et il en jugea les effets sur son propre bien-être et celui de ses semblables, avant de dégager le principe au nom duquel ces manifestations étaient légales ou illégales — on peut déjà prévoir quelle sera par la suite leur influence sur le droit et la loi, lorsque sera libre l'enseignement scientifique qui est encore à l'heure présente monopolisé par les classes privilégiées, dont c'est l'intérêt d'en comprimer, autant que faire se peut, la force sociale.

La science et sa morale immanente exercent toutefois déjà leur influence sur des esprits isolés. Elles leur donnent la sereine audace de regarder en face les dieux que l'homme lui-même créa, et ces deux puissances, le droit et la loi, dont les arrêts ont tout d'abord exprimé pour les mortels ignorants d'autrefois une volonté divine, incarnée dans le prêtre ou le roi, et enfin, depuis la Révolution française, la volonté nationale, occulte, intangible, irresponsable, plus terrible que les anciens maîtres; car elle est partout et nulle part et qu'ainsi on ne peut ni lui échapper, ni l'atteindre afin de la fléchir. Pour désarmer le tyran il nous reste à comprendre que le droit et la loi n'ont rien de surnaturel; ils naissent du besoin d'harmonie inhérent aux organismes sociaux dont les rapports réciproques sont une nécessité d'existence. Mais si ce besoin d'harmonie est inhérent aux organismes sociaux même les plus primitifs, les formes par lesquelles il s'affirme se modifient incessamment sous l'action de la science en ses progrès, et de la morale qu'elle produit. L'heure sonnera donc un jour où les hommes se sachant enfin plus grands que ce qu'ils créent, accepteront les formes temporaires de leur éternelle solidarité, sans s'en faire les esclaves, et seront toujours prêts à élaborer, en pleine conscience de leurs actes, des formes d'union plus parfaites. Ils n'y travaillent encore qu'inconsciemment presque et demeurent incapables de prévoir la portée des progrès qu'ils effectuent.


II

La morale individuelle d'un passé religieux ou métaphysique, convenait à l'organisme social ancien, simple en ses formes, lent en ses mouvements ; elle s'adaptait tant bien que mal au mieux entrevu par l'humanité d'alors. Le lien qu'elle établissait entre les individus était lâche et créait peu d'obligations de groupe à groupe au sein d'un pays, et aucune de pays à pays. On donnait à manger au mendiant qui passait; on laissait tomber sa dîme dans l'escarcelle du moine quêteur, et l'on jugeait avoir rempli son devoir envers son prochain; car les rapports et les échanges demeuraient rares et intermittents. Les sciences et leurs applications se trouvaient encore dans un état d'enfance; l'instruction et les trésors où elle s'alimente n'étaient guère davantage à la portée des plus fortunés qu'à celle des plus pauvres.

Il en va tout autrement de nos jours. Les échanges et les communications sont devenus incessants et rapides, et pour que soient satisfaites les plus élémentaires exigences de notre vie physique il faut la coopération de cerveaux et de mains innombrables; de même pour nos besoins intellectuels et artistiques. Aussi les plus éclairés parmi nous comprennent-ils qu'une éthique supérieure à celle de nos pères s'impose. La conscience sociale la pressent du reste et elle s'agite en voyant une morale sénile ne préconiser que des palliatifs dans le désarroi général.

Pour instaurer une éthique sociale à la mesure de l'évolution moderne il n'y a qu'un moyen : unir la science avec la vie, suivant une expression de Enrico Ferri; c'est-à-dire qu'il faut que la science serve à donner à l'existence de chacun une plénitude adéquate au degré de développement atteint par les sciences elles-mêmes en leurs applications. Elles ne profitent encore en grande partie qu'aux privilégiés de la fortune. Et c'est dans l'éducation que cette union doit commencer en mettant loyalement l'enfant en face des conséquences naturelles des découvertes scientifiques, dont les résultats sont nuisibles s'ils ne rendent pas la vie de tous plus facile, plus saine et plus heureuse. Une fois que cette union aura été ainsi préparée elle s'effectuera d'elle-même par la volonté de l'adulte qui travaillera à adapter tous les moyens de bien-être matériel et intellectuel que découvre la science à la vie individuelle et collective. Ces essais seuls d'adaptation fortifieront en lui l'esprit de solidarité dans lequel son égoïsme trouvera sa légitime satisfaction.

Le malaise social présent provient donc de ce que les moyens de bien-être matériel et intellectuel dont la science rend l'homme possesseur ne servent pas à la société tout entière. Quelques-uns seulement peuvent pleinement en jouir, et leur jouissance est empoisonnée, qu'ils le veuillent ou ne le veuillent pas, par le fait que des millions d'êtres n'ont que des bribes de ce bien-être qui leur appartient tout aussi bien qu'aux autres, puisqu'il est le résultat des efforts de l'humanité du passé, dont ils sont les héritiers au même titre que les premiers et que leurs efforts le maintiennent et le continuent.

L'interdépendance sociale des êtres n'est plus lâche comme au temps où les communications étaient lentes de ville à ville et presque nulles de pays à pays; et « la morale qui eut pour point de départ l'adaptation aux conditions les plus générales de la vie s'élève successivement à des correspondances de plus en plus spéciales ». Et encore une fois, c'est parce qu'en ce moment on se refuse à voir que la morale impose une adaptation plus spéciale que l'incohérence est flagrante, dans tous les domaines de la vie sociale. L'éducation souffre profondément de cette incohérence; elle n'a plus de but, plus d'idéal. Malgré les phrases sonores et vides sur le patriotisme, les vertus civiques, c'est à l'opportunisme le plus vulgaire qu'elle est soumise.


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