L'âme du criminel

Revue encyclopédique

En 1899, par Yvernès M.

Depuis une trentaine d'année, les médecins, physiologistes, neurologistes, anthropologistes et criminalistes ont, par leurs observations sur la structure et le fonctionnement du cerveau de l'homme, modifié les idées courantes sur le crime, le criminel et la législation pénale. Les juristes et les magistrats, imbus de la doctrine classique du libre arbitre, ont d'abord montré quelque répugnance à se rallier aux idées nouvelles. Les innovations révolutionnaires et les généralisations hâtives de Cesare Lombroso et de tous ses disciples les ont effrayée. Mais la doctrine française, plus logique, plus modérée, aura le mérite d'avoir ramener la question sur son véritable terrain en faisant une plus large part à l'élément social dans la genèse du crime. Actuellement, les gens de robe commencent à prendre goût à ses discussions philosophiques, et l'idée de vindicte, qui pendant si longtemps à subsisté sous l'idée de justice, tend à faire place à l'idée plus saine de préservation et au désir de plus en plus grand d'empêcher, de prévenir le crime en organisant la prophylaxie du mal.

Le livre de M. le Dr Maurice de Fleury aura peut-être pour effet de mettre un terme au dissentiment qui existe encore entre les juristes et les savants. L'auteur de l'âme du criminel commence par quelque considérations sommaires sur l'anatomie et la physiologie cérébrale, indispensable à toute étude de psychologie; il définit ce qu'on entend par localisations cérébrale, étudie les centres nerveux, la cellule, la sensation et le mouvement, explique le mécanisme de l'association des images et des idées. La Mémoire est l'élément fondamental; c'est elle qu'il faut considérer comme la clef de toute la vie Intellectuelle. « Le cerveau, dit-il, est le lieu à la fois sublime et terre à terre où les énergies ambiantes, muées en vibrations nerveuses, se réfléchissent, immédiatement ou tardivement, pour devenir des contractions musculaires, des gestes et des mots. »

La personnalité humaine n'est, en somme, qu'un total de notions externes acquises, dont dépend en grande partie la valeur morale de l'individu; elle est sujette aux déformations les plus redoutables, soit par rétrécissement du champ de la conscience, soit par épuisement ou excitation. Le libre arbitre est une illusion; il n'y a pas de responsabilité morale; le criminel appartient à la pathologie nerveuse.

Cette négation scientifique du libre arbitre n'a rien de subversif. La morale qui en découle est évidemment moins simple que la morale strictement orthodoxe; mais, dans la pensée de l'auteur, il est toujours permis de concevoir la possibilité d'une lutte victorieuse contre la tare héréditaire ou le détraquement accidentel de la machine cérébrale, grâce aux effets d'une éducation rationnelle et d'une savante orthopédie mentale.

A quelles conséquences pratiques conduisent ces doctrines? Il ne peut être question de réformer de fond en comble notre code criminel; mais ne peut-on espérer d'obtenir l'organisation d'une juridiction d'assises plus compétente, la création d’hôpitaux-prisons pour les criminels aliénés ou les grands névropathes? Une autre réforme qui s'impose est « l’adoucissement et la multiplication des exécutions capitales ».

Quant au traitement préventif, seule l'étude des conditions de production du mal peut conduire à une hygiène préservatrice et à une prophylaxie naturelle. Il convient avant tout de lutter contre l'hérédité et contre les mauvais exemples, en répandant les bienfaits de l'instruction et de l'éducation religieuse, et en favorisant la création de toutes les œuvres qui tendent au patronage et au sauvetage de l'enfance.

Telle est, dans son ensemble, la conception de l'auteur de l'âme du criminel. Cette étude de psychologie physiologique vient à son heure. Elle signale les conquêtes que l'art médical a été conduit à faire par l'étude approfondie du cerveau de l'homme; elle démontre, au surplus, que l'évolution si féconde des idées modernes n'a rien de dissolvant, puisque la morale scientifique se concilie aisément — du moins dans l'oeuvre du Dr de Fleury — avec la morale religieuse.


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